En attendant de voir d'autres séries de Kazuo Kamimura paraître chez Kana (le Lézard Noir fera paraître en 2018 les Fleurs du Mal) tournons-nous vers une série qui, outre le fait qu'elle a inspiré Kill Bill, nous emporte au XIXe siècle où une quête vengeresse va emporter sur son passage bien des vies… et des cœurs.


La vengeance dans la peau


Lady Snowblood se déroule à la fin du XIXe siècle : l’ère Meiji a engendré plusieurs bouleversements et troubles dont certains coûtent chers à Sayo, la mère de Lady Snowblood. Sa vie est brisée par la faute de quatre individus. Si elle aura la peau de l’un d’entre eux elle sera arrêtée et écrouée avant d’avoir pu mener sa vengeance à terme.


Mais elle ne renonce pas. En prison elle aura une fille, qui devra terminer le travail. La relation mère-fille tranche donc avec l'amour maternel : Yuki, future Lady Snowblood, est en vie pour donner la mort. Apprenant tout ce qu’il faut pour être une assassine hors pair maniant le sabre qu'elle dissimule dans son parapluie. Mais pour retrouver les trois brigands elle doit récolter des informations ce qui coûte du temps et de l’argent. Parallèlement à sa quête principale, Yuki exécute donc diverses missions pour lesquelles elle est (très bien) rémunérée.


La vengeance et sa transmission constituent le premier axe de la série, qui permet de nous plonger dans un univers loin des lumières de l’ère Meiji : ruelles sombres, prostitution, gangs, intimidation, chantage, présence de groupuscules nationalistes en faveur de la tradition… notre tueuse professionnelle évolue dans des univers dangereux où elle rend parfois justice pour ses clients. De quoi faire ressortir ses talents en matière de déguisement, mensonges ainsi que sa beauté... L’œuvre met ainsi au premier plan la question du corps et de ses usages, notre tueuse n’hésitant pas à se dénuder de temps à autre pour déstabiliser son adversaire, prouver qu’elle n’a pas d’arme…


Couvrez ce sein que je ne saurais voir…


Cet élément confère un soupçon de sensualité et d’érotisme à la série qui nous propose, en plus, différentes scènes de sexe. Kazuo Kamimura sait représenter le désir naissant, dévorant, montrer juste ce qu’il faut, proposer des métaphores, laisser l’imagination du lecteur ou de la lectrice faire le reste… Ajoutons que les relations montrées ne sont pas uniquement hétérosexuelles. Cependant, le corps n’est pas toujours objet de plaisir ; il peut devenir objet de souffrance car les scènes de violence physique, sexuelle, ne sont pas minces. Pour autant, Lady Snowblood trouve toujours un moyen de s’en sortir.


Yuki ayant une vengeance à accomplir, cela donne un côté secondaire à la plupart des personnages qu’elle croise, exception faite de ceux liés à sa mère. Pour autant les moments passés par Yuki avec les autres personnages ne sont pas inutiles. Ce sont aussi des instant de pause pour elle, comme une bulle précieuse pour la tueuse, pour éviter qu’elle ne sombre.


Ce point prendra de l'importance dans le grand épilogue qui conclut la série, où Yuki va trouver une nouvelle raison de vivre et l’œuvre monter en généralité et en précision dans sa critique sociale. Le capitalisme et ses excès se trouvent dénoncés et la volonté de lutter, d’appeler à la formation d’un État-providence affirmée (voir sur ce sujet l’excellent ouvrage de Bernard Thomann, La naissance de l’État social japonais).


Représentation et affirmation


Au gré des chapitres composant Lady Snowblood et des rencontres qui s’y déroulent se trouve ainsi mis en place un voyage dans le Japon de la fin du XIXe siècle en même temps que l’affirmation d’une identité (notre héroïne répète à plusieurs reprises qu’elle est Lady Snowblood), qui participera à la construction d’une renommée certaine. Yuki n’est pas qu’un objet de vengeance mise au monde par sa mère. Sa quête vengeresse est aussi une quête de reconnaissance.


Graphiquement Kazuo Kamimura livre une superbe copie, toujours aussi agréable à regarder près de 45 ans après sa première parution au Japon. Outre les pages et double-pages portées par un fort lyrisme, le point le plus intéressant concerne la suggestion du mouvement qui passe par la successions de cases soigneusement organisées ou un élément change à chaque fois, comme si on avait sous les yeux une pellicule de film que l’on ferait défiler devant les yeux.


L’intégrale de l’édition française (qui remplacera à terme les trois tomes de la précédente édition) propose une jaquette originale ainsi que des dimensions un peu plus importantes que le format précédent (14,8 x 21 cm contre 12,7 x 18 cm). L’épaisseur du volume ne pénalise pas la manipulation et il bénéficie d’un bon degré de souplesse pour être ouvert et parcouru. Sur les 1408 pages que constitue l’ouvrage, une dizaine sont occupées par des des postfaces dont une de Kazuo Kamimura qui revient sur l’origine du projet, son investissement dans la série et ses doutes à pouvoir rendre par le dessin le scénario de Kazuo Koike.


Quo vadis Lady Snowblood ?


Tout en nous faisant comprendre les raisons de cette quête vengeresse et le fait que rien ne saurait l’entraver, ce manga prend le pouls du Japon de l’ère Meiji, ausculte son état général pour en révéler les failles, suggérer et illustrer de multiples oppositions (présent/passé, vie/mort, liberté/aliénation…) dont les combinaisons et recombinaisons offrent à Lady Snowblood un rythme et une narration qui en font un titre à lire et à relire.


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Anvil
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le 31 août 2017

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Anvil

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