Belles robes de bal et petits secrets
Délicatesse et féminité feutrée. Ce récit introduit avant tout à un univers de raffinement. Les personnages principaux conçoivent des robes d’apparat pour les grands bals saisonniers de la haute société britannique. Quelle que soit leur place dans la hiérarchie des tâches, ces créateurs ont au moins en commun de vouloir concourir à la beauté des costumes (essentiellement féminins).
On choisit les tissus, on coud, on brode, on orne, on débat sur la pertinence d’une nuance de couleur, d’un ornement. On entend le doux froissement des étoffes, on voit briller les soies et les satins, on porte son attention sur les motifs dont les tenues sont décorées (planches 40 et 41).
La jeune et mignonne héroïne, Elinor Jones, se fait engager par une famille de maîtres créateurs de modes féminines, qui habitent à la campagne, dans un manoir fort cossu dont les toits démesurément hauts semblent écraser les deux niveaux du corps d’habitation principal (planche 1). Là, les couturières travaillent sur les modèles créés par leurs maîtres, elles habitent, et doivent se conformer à une stricte discipline énoncée par le majordome Chao (planche 6).
Le cadre de l’intrigue est donc bien posé : les jeunes couturières doivent se surpasser pour satisfaire les vanités féminines qui désirent être les plus belles à l’occasion – fort éphémère – d’un bal.
Indiscutablement, il faut être épris de la mode vestimentaire, de ses techniques et de ses arcanes pour adhérer totalement au fond de l’intrigue. L’attention portée au costume d’une poupée accentue l’impression d’une sensibilité féminine (planches 24 à 29).
Sur cette trame, les variations nécessaires à l’intrigue exploitent avant tout les caractères et les désirs intimes des personnages principaux ; on n’est pas dans l’action pure (personne ne manque à ses devoirs, à vrai dire), mais dans l’attention portée aux réflexions, aux confidences, aux chuchotements, au ressenti de chacun. Elinor, si humble et charmante, a tout de même son petit problème psychologique, qui finit par se voir, vu que tout le monde vit dans la même maison.
Mais même ce problème ne s’oriente par vers un drame. Le plus agaçant des personnages est l’odieux fils de la famille Tiffany, méprisant et cassant avec tout le monde. Mais il n’est pas dépourvu de qualités.
Le scénario débute habilement par un incident mystérieux (la mort de colombes) avant que l’on ne voit Elinor se présenter. La jeune créatrice de la maison, Bianca, a le charme des 15-16 ans, et ses cheveux coiffés avec des anglaises font rêver (planches 2 et 3).
Le dessin est ravissant de délicatesse, et ennoblit tous les personnages, en sachant conserver à beaucoup de jeunes filles cette expression de modestie, de candeur et de naïveté qui idéalise quelque peu les relations au sein du groupe des couturières, tout en laissant place ponctuellement à un ou deux coups bas bien dans le style féminin : pas de coups, mais de petites trahisons.
Les couleurs insinuantes, lumineuses, tirant vers des douceurs pastel assez sucrées, sont à l’unisson du travail réalisé pour représenter les robes d’apparat et leurs projets dessinés. Comme de convention, les parties éloignées des décors sont légèrement embrumées, tandis que les moments émotionnellement intenses se détachent sur un fond indistinct (planche 2). Les dégradés de couleurs sont d’une rare fluidité, en contraste avec la mode des aplats brutalement circonscrits, qui donnent l’impression de visages et de décors taillés à la hache. De subtiles lignes blanches créent des effets de brillances et de reflets qui magnifient les visages, soit que la lumière soit censée arriver par l’arrière (planche 4), soit qu’à l’inverse, les profils censés être plongés dans la partie la plus ombragée de la scène en sortent mis en valeur (planche 2).
Belle illustration pleine page de l’atelier des couturières (planche 9) ; délicieux jardin à l’anglaise qui évoque les scènes de la comtesse de Ségur (planche 15).
Raffiné et captivant, même si on n’est pas porté sur les froufrous et dentelles...