Outre un plaisir de lecture toujours renouvelée (cf: la brouille d'Astérix et Obélix le long d'une route) Le bouclier Arverne se révèle, à l'instar des autres album de la série (période Goscinny Uderzo), être un intéressant témoignage de la France de son époque.
Donc ... Fiche de lecture (hé oui ! mais tant que personne ne me dira que je le soule.. je poursuivrais)
Titre : Le bouclier Arverne
Auteurs : René Goscinny et Albert Uderzo
1ère publication : « Pilote » n° 399, 15 juin 1967
Publication album : 1968 Dargaud
Sources :
Lire hors série n° 1 p .
S. Farré « D'Ablusbégalix à Alambix : les métaphores de la collaboration durant les années Astérix (1959-1977) » Objectif Bulles pp 195-196 ;
N. Rouvière Astérix ou la parodie des identités pp 40-45.
Éléments d'analyse :
Le fait qu'Abraracourcix fasse une cure thermal témoigne de l'ouverture à la classe moyenne des loisirs aristocratiques. Intention consciente de la part des créateurs.
Témoignage d'Uderzo Lire p 47 :
« René était très remonté contre la mode des cures thermales. Du coup, nous nous sommes amusés à forcer le trait des Gaulois, les présentant comme ripailleurs et pochtrons. »
Désacralisation du pouvoir.
Cette lente dégradation de la représentation du pouvoir ne s'effectue pas de manière continue. Certains épisodes fonctionnent comme des réactivateurs des insigne du pouvoir. Cf « Le bouclier Arverne » 1967 où le pouvoir d'Abraracourcix est rattaché au passé mythologique créateur de sacralité.
– Son bouclier pavois se révèle être celui de Vercingétorix.
– On apprend qu'il a participer à la bataille d'Alésia.
Référence ambiguë, le rattachement au passé de la guerre est source de légitimité du pouvoir mais ce passé pour être efficace se doit d'être occulté et réécrit. L'origine du pouvoir d'Abraracourcix ne provenant pas d'un passé glorieux mais au contraire d'une défaite refoulée.
Il est a noter que le raffermissement du pouvoir d'Abraracourcix s'accompagne d'une cérémonie qui efface symboliquement l'événement antérieur. Revécu et dépassé le traumatisme généré par le passé est effacé.
Cette catharsis d'Abraracourcix s'accompagne d'une épreuve, pour pouvoir dépasser le traumatisme du passé, Abraracourcix opère un retour sur lui-même au cours d'une cure. Cure thermale qui en soignant son corps le fait maigrir ce qui l'amène à retrouver l'aspect qu'il avait au moment de la défaite d'Alésia (comme en témoigne le fait que l'aubergiste Alambix le reconnaisse immédiatement) cette cure physique semble s'être doublé d'une cure psychologique durant laquelle il se trouve dépouillé de ses attributs habituels.
– Il doit partir du village.
– Il doit ensuite se séparer de la compagnie d'Astérix et Obélix.
– Il n'est plus maitre de son mode de vie, le druide médecin décidant de son régime alimentaire et de son emploi du temps. Abraracourcix se trouve ravalé au rang d'enfant.
Le corps d'Abraracourcix apparaît comme la métaphore du pouvoir politique à l'image de la théorie des 2 corps du roi, le pouvoir d'Abraracourcix paraît remis en question à l'image de son corps malade, tandis que la fin de sa cure se conclut par un triomphe qui relégitime son pouvoir.
Le restauration du pouvoir n'est cependant qu'apparente le triomphe d'Abraracourcix à Gergovie n'efface pas la romanisation de la Gaule. Le symbole du bouclier subit une double dégradation symbolique, au début de l'épisode quand Vercingétorix jette ses armes sur les pieds de César (''Ouap'') la scène terrible et terrifiante devient objet de farce, et à la fin de l'épisode Bonemine, la femme d'Abraracourcix l'empêche de se rendre au banquet en menaçant de lui taper dessus avec le bouclier. L'objet du pouvoir semble avoir perdu toute valeur magique, il n'est plus qu'un symbole désacralisé, important mais non vital.
La désacralisation des symboles du pouvoir entraine également une dédramatisation du passé qui s'effectue par l'intermédiaire d'une banalisation des symboles.
– La ville d'Aquae calidae où le chef Abraracourcix correspond à la version latine de Vichy, qui fut le siège du gouvernement collaborationniste du Maréchal Pétain ("le régime de Vichy"), est ravalé au stade de simple ville thermal où le chef apprend à maigrir pour soigner son foie, manière de dédramatiser le souvenir des privations liés à l'occupation. La dédramatisation s'effectue par un jeu d'assimilation entre le souvenir d'un passé tragique et douloureux à une réalité anodine et légère.
– Le bouclier de Vercingétorix peut également faire référence à la mythologie du bouclier protecteur lié au maréchal Pétain.
Plus que la désacralisation de l'autorité politique, l'épisode semble poser le constat de cette désacralisation. Tandis que Jules César envisage de raffermir son pouvoir contesté par un rappel au fondement sacré de celui-ci (il veut faire un triomphe ''à la gauloise'' sur le bouclier de Vercingétorix, ce qui rappel la légitimité de son pouvoir sur la Gaule ayant vaincu le chef Gaulois), son subordonné Fanfrelus ne comprend pas la signification symbolique profonde de ce projet, quand le bouclier authentique est introuvable il propose de le remplacer ce qui provoque la colère de César qui rappelle la dimension sacré de son pouvoir.
Pl. 15 1/1, 2 :
Jules César : « Eh bien, Franfrelus, mon ami, tu vas retourner en pays arverne chercher le bouclier déposé à mes pieds par Vercingétorix.
Fanfrelus : Euh... César... Pour gagner du temps, on pourrait prendre un autre bouclier... Un bouclier tout neuf. Je connais un petit artisan qui... //
Jules César : Vade retro, Fanfrelus ! Je ne ferai mon triomphe que sur le bouclier arverne ! Inutile d'essayer de me tromper ! Tromper César, c'est tromper les dieux, et la colère des dieux serait terrible ! »
Fanfrelus rencontre la même incompréhension de ses subordonnés, qui s'exprime sur un mode tautologique. L'humour du centurion souligne la désacralisation de ce que césar envisage comme une réactivation de la sacralité d'un pouvoir devenu sacré par l'évocation d'un souvenir glorieux associé au sang versé, est ravalé au rang de lubie d'un patron.
Pl. 20 1/ 1, 2 :
Centurion : « Et si on envoyait un autre bouclier à César ? On lui dirait que c'est le bouclier arverne et... //
Fanfrelus : On ne trompe pas César ! Il s'apercevrait de la supercherie et servirait le coupable aux lions sur le bouclier en question !
Centurion : Eh oui je le connais... Il en ferait tout un plat. »
… et banalisation du passé.
A la fin du récit le triomphe d'Abraracourcix à Gergovie sur le bouclier de Vercingétorix est de l'ordre de la revanche symbolique, le contre-triomphe d'Abraracourcix ne fait pas disparaître la domination romaine, les actes fondateurs du passé empreint de sacralité perdent leurs pouvoir magique pour ne devenir que de simple souvenirs. Le passé perd, à cette occasion, sa dimension traumatique.
A noter que l'épisode met en scène de manière comique et du coup dénonce l'amnésie vis à vis du passé comme en témoigne le refus grandiloquent des gaulois de se souvenir d'Alésia.
A noter que l'épisode pourrait faire (consciemment ou non de la part des auteurs) à l'hospitalisation du Général de Gaulle pour une opération de la prostate le 17 avril 1964 .
La désacralisation d'un passé glorieux sera poursuivit avec l'apparition du personnage d'Agecanonix qui, à partir de l'épisode suivant « Astérix aux Jeux Olympiques » (1968), incarne la caricature de l'ancien combattant.
Globalité d'un discours où les enjeux sociaux de la mémoire rejoignent les préoccupations psychologique du lecteur :
Il est intéressant de remarquer que ce retour vers le passé s'effectue, pour l'essentiel, à l'insu du lecteur qui est convié à suivre les pérégrinations du duo de fils, Astérix et Obélix, qui se lancent en quête du passé du père.
La désacralisation du passé comme fondement de l'autorité semble constitué l'ultime étape de la relativisation de la figure paternel qui perd à cette occasion son rattachement au passé.
La légitimité secrète de l'autorité politique rejoint là le mystère du roman familial. En se lançant à la recherche du bouclier arverne, Astérix trahit son désir inconscient de découvrir le secret du père.