Ce tome fait suite à Requiem - Tome 06: Hellfire Club qu'il faut avoir lu avant. Il est initialement paru en 2007, publié par les éditions Nickel (il a bénéficié d'une réédition en 2018 par Glénat). Le scénario est de Pat Mills. Olivier Ledroit a réalisé les dessins et la mise en couleurs. Le tome se termine avec 5 pages d'étude graphique dont 3 portraits, et un bestiaire passant en revue les Éphémères, les sphinx de Tanatos et les ogres de Tartarus.
En 1242, en Terre Sainte, au pied du mont Jebel Madhbah, une armée de templiers menés par Heinrich Barbarossa arrive sur une terrasse rocheuse artificielle avec 2 piliers. Barbarrossa est convaincu que c'est l'emplacement où ont été mis en sécurité le tabernacle, l'Arche de l'Alliance et l'Autel de l'encens. À nouveau les croisés doivent affronter une armée russe qui les a suivis afin de les laisser faire le travail de recherche du site. L'affrontement est rapide et tourne au massacre des russes. Barbarrossa enjoint ses compagnons d'armes d'emmener les blessés et les mourants au pied de l'Arche qui guérira leurs blessures. Les survivants arrivent au pied de l'Arche de l'Alliance, et Barbarrossa l'ouvre pour en sortir l'objet qu'elle contient. Le résultat n'est pas celui escompté. Au temps présent, Heinrich Augsburg se trouve toujours dans le couvent des Sœurs de Sang, subissant l'effet du sang qu'il vient de boire, étant à la recherche de Rebecca. Il regarde autour de lui et observe le processus semi industriel de traitement du sang, pour le rendre propre à la consommation.
Ayant suivi le circuit de purification du sang, Heinrich Augsburg en déduit que Dracula et Bathory doivent disposer d'appartements sur place. Il décide d'escalader les canalisations verticales pour atteindre l'étage au sommet. Il sait qu'il doit faire vite, car l'inspecteur Kurse a dû découvrir son évasion et doit déjà être à ses trousses, avec les forces de l'ordre. Il atteint les appartements abritant le harem des vierges de Dracula. Il a la surprise de voir que Sabre Eretica s'y est installé et profite de l'hospitalité des vierges. Trois Sœurs de Sang surgissent menées par Sœur Sadistica. Cette dernière indique qu'elles sont dans l'obligation de castrer les deux intrus, pour le salut de leur âme bien évidemment. Pendant ce temps, au camp du Drap d'Écarlate au royaume de Dystopie, Dracula, souverain de Draconie, et sa suite se présentent devant la reine Perfidie, accompagnée de sa suite et de son bouffon Pishog. Il vient pour conclure un marché : récupérer son opium qui a été volé, contre une cargaison d'or. Mais avant de passer aux affaires, se tient un tournoi opposant les champions des 2 camps.
Arrivé à la fin du tome précédent, le lecteur prenait conscience que Pat Mills avait réussi à bien l'accrocher sur le scénario, avec un suspense très basique : Heinrich Augsburg réussirait-il à retrouver sa bien-aimée Rebecca ? Il l'avait également laissé juste après avoir pénétré dans le couvent des Sœurs de Sang, un nouveau lieu encore inexploré de Nécropolis, et puis la dame sur la couverture en impose, avec à la fois ce costume d'opéra plus grand que nature, son érotisme agressif et l'obsession maniaque du détail d'Olivier Ledroit. Le lecteur se doute bien que l'exploration du couvent ne va pas se dérouler sans heurt et que la probabilité de retrouver Rébecca est assez faible. Il est tout de suite comblé par les retrouvailles avec le personnage dont l'absence s'était fait cruellement sentir dans le tome précédent : Sabre Eretica, toujours aussi charmeur et insouciant. L'esprit entièrement obnubilé par sa quête, Augsburg a peine à croire ce qu'il voit : le grand séducteur Sabre au milieu de vierges pas effarouchées. L'artiste lui a confectionné une tenue de goût : belle chemise de soie violet lilas largement échancrée sur son torse d'albâtre, avec un pantalon violet zinzolin, des bottes en cuir montant jusqu'au genou avec quelques piques, des lunettes de soleil effilées, un rubis en pendentif. Le lecteur sourit en voyant le retour de ce trublion à l'assurance intacte, en train d'être caressé par 3 belles blondes dont une à sa main dans son pantalon. Il a à nouveau sous les yeux la preuve manifeste de la capacité de Ledroit à intégrer un monceau d'informations visuelles en une simple case, compréhensible en lecture superficielle, et révélant des saveurs innombrables en lecture attentive.
Pat Mills a également concocté des séquences jouant sur les forces de l'artiste pour ce fil narratif. Requiem découvre progressivement plusieurs parties du couvent dont l'architecture est monumentale et torturée. Au fil des pages, le lecteur peut ainsi admirer plusieurs vues du couvent, en extérieur avec ses toits en tuiles et ses ornementations gothiques et macabres, avec une vue d'ensemble en plongée lors de la destruction d'un mur, les vitraux et rosaces rouge sang, l'écœurant lac intérieur charriant du sang dans des canaux, entretenus par des nonnes récupérant les corps flottants. Avec l'apparition des Sœurs de Sang pour faire face à Augsburg et à Eretica, le récit entre dans une phase d'affrontements physique, et Ledroit peut s'en donner à cœur joie dans les blessures sadiques, la violence, le gore. D'un même élan, Augbsurg et Eretica s'élancent joyeusement vers leurs adversaires, faisant sourire le lecteur par la même occasion, car il y a une forme de second degré dans leur entrain à aller massacrer de la nonne. Ça commence par un coup de feu qui arrache la tête d'une d'entre elles, avec le sang giclant d'un visage réduit en boucherie sanguinolente. Ça continue avec une mère hurlant la bouche grande ouverte du fait d'un moignon d'épée enfoncé dans chaque orbite, avec le sang s'écoulant le long de son visage. Une énucléation et plusieurs blessures plus tard, le lecteur tombe devant une image d'écartèlement tellement violent que le corps est coupé en deux au niveau du tronc, avec les intestins se déroulant entre les 2 parties séparées de 2 mètres, à nouveau dans un déluge de sang. Le pire est encore à venir avec un personnage de la taille d'un fœtus écrasé sous la botte de cuir renforcée de métal de Requiem, avec une onomatopée bien écœurante, et à nouveau un beau giclement de sang. Il serait injuste de passer sous silence la chair calcinée encore fumante d'un individu sortant avec difficulté de l'âtre d'une cheminée.
Bien sûr ce combat opposant 2 hommes à des nonnes constitue également une occasion trop belle pour jouer sur un féminisme outré (les sœurs défendant la pureté de leur corps), cintrées dans costumes de cuir rouge bardés de clous et laissant voir le banc de l'intérieur de leur cuisse, avec une minuscule ceinture de chasteté de la taille d'un string. L'illustrateur se déchaîne pour mêler une imagerie gothique, avec une imagerie sadomasochiste, sans oublier de leur donner un caractère outré, et des armes tranchantes propices à la castration. C'est visuellement totalement grotesque, impossible à prendre au premier degré, mais une forme expressionniste laissant voir la haine du mal (et aussi le sentiment anti-cléricaliste de Pat Mills). Olivier Ledroit s'éclate tout autant à illustrer les affrontements entre Dracula et Perfidie. Ils commencent sous un format plus policé, plus civil, celui d'une joute entre des guerriers représentant chacun des 2 camps. À nouveau le dessinateur peut s'en donner à cœur joie pour renchérir sur les détails des armures des chevaliers, travaillées au-delà de tout ce qu'a pu produire le baroque, mais dans un registre plus agressif. Le deuxième affrontement met en lice Torquemada, l'énorme loup-garou de dame Demona. À nouveau Olivier Ledroit applique sa démesure au monstre, avec des griffes renforcées par des éléments métalliques, des dents pointues, une fourrure luisante, des bracelets à clou, des protège-cuisses également à clou, une épaulette hérissée de pointes. Il arrive ainsi à combiner la bestialité féroce, à une forme de domestication de surface.
Mais le plaisir des combats entre le camp de Dracula et celui de Perfidie est éclipsé par la munificence de la description des 2 camps. Tout commence par une vision dantesque montrant celui de Perfidie, avec des centaines de soldats minutieusement représentés, se tenant devant les tentes rouge cramoisi, avec leurs étendards, des immenses bêtes caparaçonnées, alors que les vaisseaux de Dracula arrivent dans le ciel, tout cela en une seule case démentielle. Sur la même page, le lecteur peut admirer la manière dont Ledroit oppose Dracula et ses hommes à gauche, à Perfidie et ses troupes à droite, dans la construction même de la double page. Toujours dans cette même page, il peut admirer le visage reptilien de Perfidie et la blancheur de sa peau ainsi que de sa robe, et le regard au strabisme divergent de son bouffon Pishog dont le costume est tout aussi ouvragé que celui de la reine. Olivier Ledroit s'abandonne avec toujours autant de délice à son obsession de remplir chaque centimètre carré de la page, et souvent même chaque millimètre carré, pour un spectacle d'une richesse inépuisable. Alors que le lecteur estime que l'artiste a tiré le meilleur parti de la représentation de la reine Perfidie et que le niveau de détails ne lui permet pas de faire plus, il mesure l'ampleur de son erreur quand elle perd toute contenance quelques pages plus loin et que sa chevelure semble entrer en éruption pour révéler des dizaines de serpents. À nouveau, il ne s'agit pas pour Ledroit de suggérer une vingtaine de serpents. Il les représente tous, en leur donnant des ondulation distinctes, compatibles entre elles.
Avec ces séquences, le scénariste a rappelé au lecteur qu'il ne plaisante pas, mais surtout que le mal continue de sévir sur la planète Résurrection. Heinrich Augsburg continue de se conduire de manière obsessionnelle, toute entier à son objectif de libérer Rebecca, quel que soit le nombre de personnes qu'il doit tuer pour y arriver. Sabre Eretica reste un jouisseur impénitent, refusant toute limite, toute mesure, insouciant des conséquences pour lui, mais surtout pour les individus qu'il pervertit. Le lecteur voit des individus laissant libre cours à leurs pulsions, sans entrave. Même si Heinrich Augsburg semble animé par un sentiment positif (libérer sa bien-aimée), les prologues des tomes 1 à 5 ont établi qu'il ne sait pas penser à autrui comme autre chose qu'une possession devant se plier à sa volonté. Par comparaison, les joutes organisées par la reine Perfidie apparaissent plus civilisées, l'énergie des pulsions étant canalisée dans des rituels civilisés. Mais les dessins montrent que ces affrontements sont l'occasion pour les participants de laisser libre cours à leur sauvagerie et à leur bestialité, à leur instinct de tuer, en rendant les mises à mort le plus spectaculaire possible pour le plaisir des spectateurs. Finalement, cette bestialité est tout aussi immonde que celle de Requiem. La première se part des atours de la civilisation, la seconde d'une apparence d'altruisme. Mais dans les 2 cas, les combattants prennent plaisir à jouir sans entrave de la douleur infligée à autrui.
Cette mise en scène d'une méchanceté à l'état pur rejoint le thème de la séquence d'ouverture. Pour la deuxième fois, elle n'est pas consacrée à Heinrich Augsburg pendant la seconde guerre mondiale, mais à Thurim pendant les croisades. À nouveau la force graphique des pages d'Olivier Ledroit emmène le lecteur au milieu de personnages au comportement halluciné. Il n'a pas assez d'yeux pour pouvoir absorber les détails des casques et des armures des 2 armées. Il voit comment les guerriers se voilent la face avec leur casque, la masquant à leurs ennemis, devenant des individus sans identité, se convainquant qu'ils deviennent autre quand ils massacrent des individus qui ne ressemblent plus non plus totalement à des êtres humains. À nouveau Pat Mills évoque les massacres perpétrés au nom de Dieu, braquant le projecteur sur l'incohérence entre les tenants de la Foi et les actes commis par l'appareil de l'Église. La force de son propos est quelque peu atténuée par l'outrance de la narration graphique, et par celle des situations imaginées. À nouveau, le lecteur retrouve le thème du mal incarné sur Terre. C'est un dispositif narratif qu'utilisent les scénaristes quand ils opposent de manière manichéenne le bien contre le mal, sans zone d'ombre, sans prise de recul. Depuis le début de la série, tous les personnages sont habités par le mal (sauf peut-être Rebecca). En faisant du Mal une force tangible, le scénariste ne dédouane pas ses personnages, au contraire il les condamne sans appel. Ici Pat Mills ne se sert pas de la notion de Mal comme d'un raccourci pour éviter d'avoir à trouver une motivation plausible au méchant, ou pour partager le monde entre bons et méchants de manière simpliste. Il l'utilise pour établir qu'ils subsistent des valeurs morales à partir desquelles juger un homme.
Contrairement à l'impression générale, Pat Mills n'a pas simplifié son récit pour le réduire à deux fils narratifs (celui de Requiem, celui de Dracula) débouchant sur des combats plus spectaculaires que cathartiques. Il consacre 2 pages à Igor et au Dictionnaire du Diable, à la fois pour rappeler leur existence et leur objectif, et en même temps pour montrer que la ville de Nécropolis va bientôt voir s'abattre la deuxième plaie. Il fait également avancer le complot fomenté contre Dracula dans 2 autres pages, tout en évoquant de sinistres personnages Edward Teller (1908-2003, père de la bombe H), le professeur Zarinovski, le docteur Konrad Dippel (1673-1734). Mills a déclaré être fasciné par les projets immondes engendrés dans des cerveaux humains pour faire souffrir l'humanité, pour tuer des êtres humains par dizaines, centaines, milliers, une preuve que le Mal existe bel et bien. À nouveau pour ces séquences, Olivier Ledroit fait preuve d'une implication sans faille, pas seulement pour la minutie de ses dessins, mais aussi par l'identité graphique qu'il leur donne, que ce soit les vues du ciel pour Igor, ou par les teintes vertes du cabinet de l'Archi-Hiérophante. Les 2 auteurs s'amusent à intégrer des références discrètes, que ce soit celle au Jardin des délices (1494-1505) de Jérôme Bosch (1450-1516) lorsque Heinrich Augsburg négocie avec Thurim, les paroles de la chanson de l'Ange Bleu, ou encore le livre intitulé Struwwelotto évoquant un recueil de comptines pour enfant Struwwelpeter (1858) de Heinrich Hoffmann (1809-1894).
Ce septième tome recèle une richesse extraordinaire, sous des apparences de récit de fantasy mâtiné d'horreur et violence facile. Olivier Ledroit donne à voir un monde et des créatures d'une consistance sans égale, alors que Pat Mills met en scène toute l'horreur de l'âme humaine, les 2 faisant preuve d'un discret humour pince-sans-rire.