Cette histoire d'un Grand Duduche cool qui photographie ses copines nues, puis les dessine pour exposer ses oeuvres, est relativement plate. Tant le dessin que le scénario peinent à emporter la conviction.

Côté dessin, on est dans le crayonné noir-gris-blanc, souvent hérissé de pilosités parasites (page 15) donnant souvent un air d'inachèvement (voulu, sans doute, puisque d'autres dessins sont techniquement "ligne claire" assez réussis). Les traits, souvent tremblés et inutilement sinueux, donnent l'impression du croquis, mais pourquoi ici plutôt que là (pages 44 et 45 à comparer avec la page 73) ?

Certains moments de perception, de rêverie, d'émotion se laissent envahir par des nappes de grisailles inégales (pages 20 et 21). Plusieurs séquences convenables de réitérations de plans dans un moment d'émotion (pages 120 à 124).

Faute de couleurs, les grisailles appliquées abondent en bavures et en inégalités de densités, sans rapport aucun avec des dégradés d'intensité lumineuses explicables par le décor. De véritables taches de liquide asséché construisent par endroits des moirures sales qui enlaidissent d'une sorte de lèpre ombreuse et auréolée un dessin déjà pas très séduisant.

Le contraste entre le net et le flou n'est pas forcément superposé à la dichotomie entre le réaliste et l'onirique. Les silhouettes, réalistes le plus souvent, se mettent à s'allonger et à se distordre monstrueusement sans prévenir. (page 9).

Pour un récit qui parle de filles nues, celles qui sont dessinées sont particulièrement moches, maigres, voire osseuses, et parfois aussi séduisantes que le corps décharné d'une vieillarde (page 10). C'est d'ailleurs cet enlaidissement difficilement supportable des filles qui vaut au héros une pénible expérience (pages 148 à 154).

Assez réussi, le portrait de la femme fofolle et maniérée qui tient la galerie d'exposition.

Côté scénario, on oscille entre la platitude réaliste d'un quotidien assez pauvre (le héros fait très étudiant fauché), qui réussit bien certains passages très humains, comme l'engueulade d'un modèle nu par sa mère cul-pincée, ou les visites si vraisemblables du héros à la vieille Monette, reste sénescent de petit bout de femme sympathique dans sa maison de retraite.

Pour un mec qui vit en photographiant des filles nues, le héros fantasme assez peu; il a une copine régulière. Beau passage d'images fantasmatiques pages 80 à 86, accentuant souvent les effets de sur- et sous-exposition lumineuse.

La rationalité et la banalité ambiantes donnent d'autant plus de reliefs aux relâchements oniriques. L'intéressant motif quasi fantastique (et inexpliqué) de l'appartement du dessus inondé, réputé inhabité, mais occupé par une étrange créature revêtue d'un manteau de fourrure et affublée d'un masque à gaz (dont la présence est un leitmotiv de l'album, et n'est expliqué nulle part) n'est pas suffisamment exploité, et pourrait aisément faire glisser le récit vers moins de quotidienneté déprimante.

Au total, on ne sait pas trop où le récit veut en venir. Le mieux est de le considérer comme une mise en scène d'une tranche autobiographique équipée de portions de souvenirs (l'enfant et les toilettes en 1973, Pages 125 à 131), dont la signification laisse le lecteur largement à l'écart. Et ce n'est pas la mélancolie du dessin, déprimant enchaînement de grisailles et de tremblements, qui va séduire.
khorsabad
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le 21 mars 2012

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