Ce tome fait suite à Alix senator 1 - Les aigles de sang (2012) qu'il faut avoir lu avant. Il est paru en 2013, écrit par Valérie Mangin, dessiné et mis en couleurs par Thierry Démarez, sous la direction artistique de Denis Bajram qui a également réalisé le logo et la maquette de la série.


En 12 avant JC, Auguste fait face à l'assemblée du sénat dont le porte-parole lui reproche d'avoir missionné le sénateur Alix Graccus pour un voyage en Égypte, alors qu'eux ont l'interdiction d'y aller. Auguste répond avec rouerie qu'il faut qu'ils choisissent entre trouver inadmissible qu'Alix soit au sénat, ou qu'il soit en Égypte. Sur le navire, Alix Graccus, Titus et Khephren voient le phare d'Alexandrie se profiler à l'horizon alors qu'ils évoquent les motifs de leur mission, et le fait qu'Alix aurait préféré ne pas emmener les 2 jeunes gens, même si lui-même parcourait déjà le monde à leur âge. Dans le dans la demeure d'Auguste au Palatin, Livie (son épouse) est en train de se faire dire l'avenir par une vieille femme qui lit dans les entrailles d'un oiseau. Auguste arrive en pleine séance, et exige le départ de la diseuse de bonne aventure séance tenante. Après son départ, les époux évoquent la mission d'Alix Graccus, ainsi que le comportement et les motivations de Quintus Rufus.


Débarqués à Alexandrie, Alix, Khephren et Titus sont interpellés par Heb, fils de Djoser, envoyé par le préfet Barbarus pour les accueillir. Ils sont observés de loin par Anteb, le dresseur de faucon balafré du général Rufus. Le soir-même, les voyageurs se régalent au cours du festin organisé par le préfet. Khephren éprouve des difficultés à détacher ses yeux des jeunes femmes qui apportent les mets et les servent sur leur couche. Néanmoins, il prend la mouche quand Barbarus évoque le bon vieux temps de Marc Antoine, car cela n'évoque pour lui que la mort de son père Enak et de sa mère, une servante de Cléopâtre. Au petit matin, Khephren et Titus dorment dans leur appartement, Heb ayant veillé sur eux en dormant sur une chaise. Alix dit au revoir à Ptathmose le maître de la grande bibliothèque qui était également présent au banquet. Alors qu'ils sont encore dans la cour de la demeure du préfet, Alix et son serviteur sont attaqués par une nuée de faucons. Ils arrivent à les chasser avec les torches encore allumées. Le préfet Barbarus prend acte de cette attaque inadmissible et décrète que, pour leur sécurité, ses invités doivent regagner Rome le plus rapidement possible. Khephren réussit à le convaincre de lui accorder le temps d'aller se recueillir sur la tombe de son père, mais ils seront escortés par la garde personnelle du préfet.


C'est tout naturellement que le lecteur revient pour le deuxième tome, afin de découvrir la suite de l'intrigue du premier. Alix et ses deux jeunes compagnons doivent retrouver le général Rufus qui a fomenté un complot pour renverser Caius Octavius, couronné Auguste. La scénariste débarque donc son trio de personnages dans un nouvel environnement, de l'autre côté de la mer Méditerranée, les mettant en présence d'autres individus. Le lecteur comprend qu'Alix, Khephren et Titus se retrouvent au milieu d'un complot à l'objectif peu clair, avec des personnes en face d'eux qui leur en disent le moins possible, et qui font tout pour détourner leur attention. En outre, elle montre clairement que le général Rufus a laissé un homme à Alexandrie (Anteb) pour pouvoir être informé de l'arrivée de ses poursuivants, et anticiper les actions à mettre en œuvre. Le moteur du récit réside donc dans cette enquête sur le complot, sous forme de tâtonnement, pour s'extraire des tentatives de manipulation des uns et des autres, et pour accomplir leur mission. Du coup, tout le monde devient un suspect, à commencer par les nouveaux personnages. Il apparaît vite que le guide providentiel (Heb) cache son allégeance réelle.


Le lecteur avait refermé le premier tome, un peu décontenancé par le déroulement naturaliste de l'intrigue, s'abstenant de tirer parti du potentiel de dramatisation des situations. Il retrouve la même forme narrative dans ce deuxième tome. La scénariste propose une trame linéaire, plaçant le lecteur aux côtés d'Alix qui apparaît dans toutes les pages sauf 3. Ce parti pris a pour effet paradoxal de diminuer le niveau d'empathie généré par les personnages. Alix Graccus reste un héros assez générique dans son comportement, moins enclin à l'action que dans sa série initiale du fait de son âge plus important, comprenant mieux les tenants et les aboutissants des situations du fait d'une capacité de prise de recul accrue, mais finalement assez peu impliqué émotionnellement, au-delà de réactions très basiques comme son inquiétude pour les 2 adolescents, son courage face aux situations de danger, ou sa colère face aux menteurs et aux assassins. Le lecteur peut ressentir comme une forme de détachement émotionnel par rapport aux événements du fait des réactions très mesurées des personnages, par exemple quand ils en apprennent plus sur le sort d'Enak. Cette sensation se retrouve également dans la dernière partie du récit quand le général Quintus Maximus Rufus et quelques autres personnages se lancent dans un grand déballage explicatif. Tout autant que dans le premier tome, le personnage principal se contente souvent de réagir aux circonstances, sans être en mesure d'anticiper grand-chose, avec une capacité très limitée pour influer sur le déroulement des événements.


Dans le même temps, le lecteur se retrouve happé dans la Rome antique dès la première page, par le truchement des dessins minutieux et descriptifs de Thierry Démarez. À l'instar du premier tome, l'artiste s'investit totalement dans la reconstitution historique pour offrir un plaisir touristique intense au lecteur. Dès la première page, le lecteur a droit à une magnifique vue de dessus du quartier de la Curie, lui permettant de sa faire une idée (ou d'admirer) l'urbanisme de la ville. Parmi les vues d'ensemble, il observe la magnifique terrasse du préfet Barbarus alors que la nuit achève de tomber en enviant Alix de pouvoir profiter d'un festin dans un cadre aussi somptueux. Au fur et à mesure de sa lecture, il prend conscience qu'il ralentit le rythme pour pouvoir contempler l'alignement de colonnes égyptiennes, la vue d'ensemble de la ville depuis le phare d'Alexandrie (page 17), la vue du ciel du complexe formant la bibliothèque d'Alexandrie (page 21), la vue du Nil avec un jeune homme sur une petite embarcation en roseau (page 30), l'allée bordée de statues de créatures mythologiques (page 33), et bien sûr la découverte de la mère des pyramides (pages 34 & 35).


La qualité des dessins n'est pas circonscrite aux vues d'ensemble. Le lecteur éprouve le même plaisir à satisfaire sa curiosité en regardant l'intérieur de la Curie, les appartements privés de Lidie, la salle de réception officielle du préfet Barbarus (avec ses magnifiques décorations murales, la cabine d'Alix, Khephren et Titus sur le navire, etc. Le lecteur tombe donc complètement sous le charme de la reconstitution historique, éprouvant un grand plaisir à se dire qu'il peut se projeter dans cette reconstitution en toute confiance. Cela a pour effet secondaire de quasiment faire passer les personnages au second plan. Thierry Démarez utilise la même approche graphique pour la représentation des personnages, à savoir descriptive et réaliste sans chercher à les faire ressortir par rapport à leur environnement. Ses personnages s'apparentent donc à des acteurs avec une morphologie normale, adoptant un jeu naturaliste, sans exagération dans les postures ou dans les mouvements. Il n'y a finalement que la position de pouvoir qui bénéficie d'une mise en scène, pour que le commun des mortels soit impressionné par les attributs du pouvoir d'Auguste ou de Barbarus. Du fait de ce parti pris dans la mise en scène, les personnages apparaissent comme totalement intégrés dans leur environnement, au point que l'environnement prime régulièrement sur eux ou sur l'action. Le lecteur prend conscience qu'il goûte autant les moments spectaculaires que le déroulement de l'intrigue et ses révélations, attendant avec plus d'impatience les nouveaux sites que les rebondissements.


Effectivement, Valérie Mangin a construit une histoire qui permet à Thierry Démarez de déployer toutes ses capacités pour assurer le spectacle de la reconstitution historique et des paysages à couper le souffle. En outre en fonction de ses connaissances ou s'il va visiter le site dédié à la série, le lecteur peut se faire une idée de la qualité du travail de reconstitution et du travail de recherche réalisé, que ce soit pour la forme de la Curie, l'interdiction faite aux sénateurs d'aller en Égypte, la réalité historique de l'existence du préfet Publius Rubrius Barbarus, l'alignement des pyramides sur le plateau de Gizeh, l'existence de pyramides à degré ou du zoo de la bibliothèque d'Alexandrie. L'auteure intègre donc parfaitement son intrigue dans les connaissances historiques disponibles sur l'époque, pour proposer une aventure où les personnages jouent à arme égale avec leur environnement. Au fil des pérégrinations d'Alix Graccus et de ses compagnons dans ce tome, elle met en scène l'exercice du pouvoir, par Auguste soucieux de conserver sa suprématie militaire, par le préfet Barbarus qui profite de son éloignement du siège du pouvoir, par le général Quintus Maximus Rufus qui dispose d'un atout dissimulé. Les tribulations des personnages deviennent alors assujetties à l'exercice de ces autorités, à leur machination pour la conserver ou pour l'acquérir. Finalement cet enjeu écrase les autres présents au sein de l'intrigue, y compris le sort d'Enak.


Au sortir de ce tome, le ressenti du lecteur dépend fortement de son horizon d'attente. S'il est venu pour une aventure avec une forme classique pour un héros mâle, il risque d'éprouver une forme de frustration devant la description trop factuelle de hauts faits montrés de manière très prosaïque. S'il est venu pour une intrigue sous forme de thriller, il risque d'être déstabilisé par une narration qui ne dramatise pas les révélations, qui ne surjoue pas la dimension psychologique ou émotionnelle de leur impact sur les protagonistes. S'il est venu pour une reconstitution historique de qualité, il est possible qu'il soit décontenancé par une mise en scène très prosaïque qui ne met pas en avant chaque élément d'époque en avant, se privant d'un effet pédagogique, mais évitant par là-même une forme d'autocongratulation. Au fil des pages, il est saisi par la beauté de plusieurs paysages naturels et de constructions humaines. Il prend conscience qu'il s'est totalement immergé dans l'environnement de la Rome Antique et qu'il bénéficie d'un tourisme de très haute qualité en s'attachant aux pas d'Alix Graccus. En outre, le déroulement de l'intrigue intègre naturellement chaque endroit comme découlant organiquement du récit, et le complot s'avère bien construit. 9 étoiles pour un récit qui demande pour certains lecteurs un effort d'adaptation à une forme qui s'écarte des conventions narratives en vigueur pour ce genre.

Presence
9
Écrit par

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le 11 avr. 2019

Critique lue 165 fois

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