Loin de moi l’idée de faire une comparaison malavisée, encore que, mais ce Deuil de la Famille me rappelle un peu l’expérience The Killing Joke : Batman confronté à son intime Némésis, sinistre plaisantin de son état passant soudainement la deuxième pour mieux le tourmenter... au gré d’un récit m’ayant laissé, tout d’abord, sur ma faim. En fait, comme pour l’œuvre culte de Bolland & Moore, ce troisième chapitre du tandem Snyder/Capullo gagne à être lu de nouveau : l’expérience contredit en effet les réserves que je formulais initialement, le bouquin s’avérant bien plus abouti que dans mes souvenirs.
Au sortir d’un arc « Rapace » perfectible mais pétri de bonnes idées, le retour aux affaires du Clown Prince du crime s’auréolait des meilleures intentions, et d’un potentiel à double-tranchant : car de par tout ce qu’induit cette icône parmi les icônes, le manier relève d’un art des plus délicats. L’intrigue de Snyder s’arroge d’autant plus une ambition non feinte, celle-ci prenant le risque de réunir tous les comparses du Chevalier Noir sous une même ombre... à savoir une menace masquée comme exacerbée.
Certes, l’usage des Drake, Todd et consorts se limitera longtemps au second plan, la trame faisant naturellement la part belle à son duo central, roi des paradoxes : le Joker s’illustre d’abord de la meilleure des manières, son entrée en scène signée d’une violence abrupte, au point de friser le froid cauchemardesque, en disant long sur les prétentions de la pièce à venir. S’ensuit le traditionnel « investigation part », mais le procédé se fait rapidement tordre le cou : le Joker frappe fort, encore et encore, chacune de ses funestes farces resserrant l’étau autour d’un Batman désabusé.
Sur ce point, ce que propose Le Deuil de la Famille confine à la circonspection : tandis que le dyptique des Hiboux poussait Bruce Wayne dans ses ultimes retranchements, avec un certain brio, la démarche frise le redondant ici. Pis encore, le légendaire justicier fait grise mine en termes d’épaisseur, un charisme en berne et un soupçon de prévisibilité (allant croissante) nous assaillant sans discontinuer : non pas que le fait de se faire dicter le tempo des événements (pouvait-il en être autrement face à un « bon » Joker ?) le discrédite, bien au contraire, mais l’impression de tourner en rond est palpable au contact de ce Batman relativement lisse.
Fort heureusement, son fidèle bouffon veille au grain : toujours un coup d’avance, de l’inventivité et un sens du théâtral prenant des proportions dantesques - le cocktail est des plus savoureux. Là est d’ailleurs l’essence même de ce comics envers et contre tout captivant, à savoir ses aspirations de conclusion aussi bien solennelle qu’outrecuidante : le cheminement tout entier d’une trame mouvementée, suspendue aux coups d’éclats sanglants de ce Joker défiguré (l’art de Capullo transcende le suggestif), ne visait qu'à fomenter une réunion finale tenant de la mascarade.
Originellement, mi-figue mi-raisin était le mot d’ordre, cette dernière s’apparentant à un pétard mouillé en bonne et due forme : et puis, à l’aune de cette seconde lecture, le constat a tôt fait de changer du tout au tout. Un murmure tonitruant, ponctué d’une fuite en avant virant au silence de mort, et des stigmates empreints d’une juste retenue - sans omettre un dernier mauvais tour « posthume » - élèvent Le Deuil de la Famille bien plus haut qu’escompté : une prouesse en soi au regard du mythe qu’incarne son maître-antagoniste. Et comme l’aura dit un grand homme : « I believe whatever doesn’t kill you, simply makes you... stranger ».
Il va donc sans dire que j’ai hâte de voir ce que donnera ce nouveau plongeon.