Ce tome fait suite à Slaine the king (en VO). Il contient une histoire complète, initialement parue en épisodes dans le magazine "2000 AD" (progs 626 à 635, 650 à 656, 662 à 664 et 688 à 698) en 1989/1990. Le scénario est de Pat Mills, et les dessins de Simon Bisley. C'est le premier tome en couleurs des aventures de Sláine.


À la fin du tome précédent, Sláine était couronné roi de sa tribu. Mais il lui restait encore à unifier les 4 tribus d'Irlande derrière un même chef pour lutter contre un envahisseur monstrueux, et ainsi libérer le pays de Tír na nÓg. La première séquence montre le nain Ukko, des années plus tard, en train d'écrire l'histoire de Sláine. Il évoque en une dizaine de pages ses aventures jusqu'alors, ainsi que les forces en place, de l'histoire personnelle de Sláine (sa relation avec Niamh, ses spasmes de déformation) aux déités (Danu la déesse mère et Lug le dieu solaire), en passant par les ennemis (Medb, Lord Weird Slough Feg, les seigneurs Drune, les fomorians) et leurs déités (Crom-Cruach, les dieux de Cythrawl), sans oublier la ferme des dragons. Contre l'avis de Cathbad (le prêtre de sa tribu), Sláine décide de rassembler les trésors des autres tribus. Il dispose déjà du Chaudron de Sang, il manque l'Épée d'argent lunaire de Gorias, la Lance incandescente du soleil de Finias et la Pierre sacrée du destin de Falias. Mais avant, il doit se présenter devant la déesse mère. Il entreprend une descente dans le Chaudron de Sang pour obtenir audience.


Dans la postface, Pat Mills ironise sur le fait que Simon Bisley était un fan de Conan et qu'il était venu pour dessiner les aventures d'un barbare belliqueux et bagarreur. Il explique que la confrontation du point de vue de Bisley avec le sien a abouti à une histoire hors norme de Sláine. Effectivement lorsque Sláine s'empare de la Lance et que la Pierre se met à gémir, il est possible de repérer un sosie de Conan faisant une drôle de tête.


Dès la scène d'introduction, le lecteur prend conscience que les auteurs sont passés au niveau supérieur. Pat Mills prend soin de créer un dispositif narratif qui présente ces aventures de Sláine dans un cadre mythologique, le vieux compagnon du héros écrivant ses mémoires, relatant des faits inscrits dans l'Histoire. Dès cette scène, les images de Bisley transportent le lecteur dans un ailleurs d'une rare densité, d'une rare intensité. Il a réalisé ces pages à la peinture, mêlant plusieurs techniques, laissant les couleurs transcrire les émotions des personnages. C'est ainsi qu'apparaît un vieux nain, au visage ridé, à l'expression lasse, à la silhouette voûtée, dans des teintes sombres d'un rouge incandescent. Le lecteur ressent avec force cette atmosphère alourdie par la mort qui se rapproche, et la nostalgie du temps passé. Dès la deuxième page, les couleurs sont plus vives pour évoquer les aventures de Sláine. Dès la deuxième page, le lecteur constate la démesure des images conçues par Bisley. Les guerriers ont des corps de culturiste, la chair est prise de soubresauts violents sous l'effet du spasme de déformation, les armures sont ouvragées à la déraison. Bisley rend hommage à Frank Frazetta et à Richard Corben, tout en conservant une exagération qui lui est propre. Très rapidement le lecteur comprend que les dessins de Bisley ne doivent pas être pris dans un premier degré purement figuratif, mais dans un second degré teinté d'expressionnisme.


Cette approche graphique est en parfaite harmonie avec le récit de Pat Mills. Pour ce quatrième tome des aventures de Sláine, il a décidé d'embrasser pleinement la mythologie celte, délaissant les aventures spatio-temporelles précédentes. Il va piocher dans le Lebor Gabála Érenn (entre autres) en le débarrassant de sa réécriture catholique, pour développer une vision de la cosmogonie et de la société celtiques assez personnelle. C'est ainsi que dans la première partie, Sláine a une discussion de 8 pages avec Danu, exposant la suprématie de cette déesse, et donc la prééminence de la composante féminine dans la société celte, recréant à sa sauce le stéréotype du héros viril et triomphateur. Mills relativise la toute puissance de la virilité masculine, en ne lui accordant que la seconde place derrière la fécondité féminine, symbole de la terre nourricière. Cela ne diminue en rien les hauts faits guerriers de Sláine, la violence des combats, la force des coups, mais cela les place dans une autre perspective.


D'un côté, le lecteur découvre une trame très classique de récit d'heroic-fantasy, avec tribus se battant contre un envahisseur monstrueux, aidé par des sorciers souhaitant la destruction de la race humaine. De l'autre côté, il plonge dans des coutumes et des rites d'une culture particulière (les celtes d'Irlande), et il voit d'un œil neuf ces récits gorgés de testostérone, assujettis à une déesse participant à l'ordre de l'univers.


Simon Bisey fait feu de tout bois tout au long du récit, hypnotisant le lecteur avec des visions dépassant les stéréotypes propres aux récits de barbares, refusant de reproduire les clichés visuels des histoires de Conan et consort, s'émancipant d'une représentation purement figurative, pour donner son interprétation de l'histoire. Sláine se coiffait à la mode celte, en sculptant ses cheveux en pointe ; Bisley lui fait des pointes évoquant le hérisson, certainement impossible à réaliser dans la réalité, mais parfaitement représentatives du piquant du personnage. Sláine porte une ceinture destinée à l'aider à supporter les spasmes de déformation ; Bisley en fait une énorme ceinture qui l'empêcherait de se pencher dans la vie de tous les jours, mais qui figure avec force l'énergie qu'elle doit contenir. Sláine rencontre la déesse Danu, Bisley n'en fait pas une frêle jeune fille taille mannequin, mais une femme épanouie. Un dragon prend part au combat ; Bisley n'essaye même pas de le naturaliser, c'est un monstre gigantesque aux dents innombrables et acérées, avec des griffes d'une taille démesurée. Loin d'assaillir le lecteur par une exagération constante, ces images le transportent dans un monde fantasmé, avec une grande cohérence interne, aux saveurs relevées.


De son côté, Pat Mills semble avoir fait des efforts pour éviter les ellipses brutales dont il est coutumier, ainsi que les ruptures de ton sans concession du fait de transitions inexistantes. Le dispositif d'Ukko narrant l'histoire des décennies plus tard apporte les transitions nécessaires d'une partie du récit à l'autre, et fournit des respirations humoristiques bienvenues, sans casser l'ambiance du récit. Son travail de recherche sur les mythes et légendes celtiques transparaît dans chaque scène, sans parasiter le récit, sans le transformer en un cours didactique. Ses personnages disposent tous d'une personnalité affirmée et de motivations réelles, sans recours à un altruisme peu vraisemblable. Si vraiment il fallait trouver des défauts dans ce récit, il serait possible de regretter les motivations trop basiques des ennemis et les rappels un peu trop lapidaires sur des éléments apparus dans les tomes précédents (pas d'explication sur l'importance ou la fonction du harnais de déformation, l'importance donnée aux dragons apparus dans le tome précédent, à commencer par Knucker). Mais ces éléments passent à l'arrière plan, balayés par le comportement truculent d'Ukko, la joie de vivre communicative de Sláine, sa vitalité, et la force du récit.


Dans sa préface, Pat Mills ne prend pas de gant et énonce son point de vue sans ambages. Pour lui, Horned god est un récit d'exception grâce à la force de la vision de Bisley, et l'ambition thématique du récit. Il estime que la série ne retrouvera cette grandeur qu'avec l'arrivée de Clint Langley dans Geste des invasions. Effectivement, cette histoire bénéficie de la complémentarité et de l'osmose entre scénariste et dessinateur, tous les deux au summum de leur art. À eux deux, ils rejettent toutes les conventions propres à ce type de récit, pour transfigurer ce récit de genre (généralement à destination exclusive d'adolescents mâles) pour en faire une œuvre littéraire abordant la nécessité de donner la première place aux femmes dans la société, une provocation d'une ampleur inouïe dans un récit de barbares tranchant des têtes à qui mieux-mieux. Malgré le départ de Simon Bisley, Pat Mills a continué d'écrire les aventures de Sláine dans Tueur de démon, illustré par Glenn Fabry, Greg Staples et Dermot Power.

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le 29 sept. 2019

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