Fred est mort. Et je sais bien qu’il l’est depuis 2013. Mais quand je lis un album de cette qualité, publié en 1973 et qui pourtant reste une leçon d’humour depuis 50 ans, je me dis que ça manque de Prix Fred, de rue Fred, de collection Fred, d’un peu plus de Fred dans notre monde, même si quelques rééditions prouvent qu’il n’est pas encore oublié.
Frédéric Othon Théodore Aristidès de son charmant petit nom, possède malgré tout une petite notoriété, qu’il doit notamment à sa série phare Philémon, conte philosophique, poétique et absurde décliné en 16 tomes. Mais le grand Fred a publié un certain nombre d’albums qui témoignent (oui, votre honneur) d’une imagination débridée et d’un humour qui n’a rien perdu de son mordant.
Le fond de l’air est frais… est généreux, car il est composé de nombreuses petites histoires qui nous transportent dans un univers fascinant, à l’imagination débordante. Dans cet album, bien qu’il soit principalement dessiné, Fred prend parfois des chemins de traverse, agglutinant d’autres formes de média à sa bande dessinée. Il découpe dans des gravures, s’incruste dans des vieux reportages photographiques, illustre une vieille chanson ironiquement patriotique de Paul Déroulède. Même dans ses bandes dessinées, il met à profit son inventivité pour briser parfois les codes, imaginant un rouleau dessiné à l’histoire perpétuelle ou s’amusant avec les cases et les espaces qui les séparent (bien avant Imbattable de Jousselin), imaginant même une histoire en relief (deux histoires sur la même page, une par feuille).
Est-ce que le tout serait prétentieux et vain ?
Bien au contraire ! L’expérimentation n’est jamais là que pour elle-même avec Fred, il y a toujours l’histoire et le gag, la fantaisie ou l’absurde d’une idée.
Les meilleures planches de Fred sont d’ailleurs là, quand il déploie son art dans un monde proche du notre mais aussi différent, au décalage évident et frappant. A l’image de ses quelques planches « les petits métiers » où il recrée des métiers pittoresques avec une verve folle (les tricoteuses de pelotes sauvages, le rémouleur de céleris, le représentant de trous, et quelques autres idées folles).
Le tout toujours avec ce mordant caractéristique de l’auteur, qui se distingue plus facilement dans ses productions en dehors de Philémon. L’album s’ouvre sur une pleine page, une attraction de fête foraine vue de coupe, d’un côté une foule qui se presse pour rentrer puisque l’entrée est gratuite, de l’autre un homme, bien habillé, a un fusil en main, c’est « le tir à l’homme vivant ». Dans « Week-end », peut-être la pièce maîtresse de l’album, l’histoire est un gigantesque départ en week-end, où tous les habitants de chaque immeuble traînent le leur jusqu’à l’arrivée (la mer cette semaine), une bien bonne mise en boite d’un certain conformisme social. Le sort de ces petits métiers n’est d’ailleurs pas des plus heureux, et pourtant le tout n’est jamais plombant, jamais grave, car causé par un esprit malicieux, celui de Fred.
Si le trait de Fred a pu décontenancer dans ces années lointaines où la bande dessinée était enfermée dans des codes très académiques malgré son jeune âge, sa liberté et sa désinvolture s’apprécient encore plus maintenant. La plume est noire, hachée et tranchante, elle se déploie dans les cases, quand il y en a, ou occupe les pages selon la fantaisie de son maître.
Avec autant d’années passées, tellement de productions sorties entretemps, cet album et le génie de Fred n’ont pas pris une seule ride. Audacieux, drôle et mordant. Il faut du Fred dans chaque bibliothèque, il faut du Fred dans nos vies.