Le titre de cette critique ne se veut gratuit en aucune façon. Le côté Death Note, notamment avec cette propension à ratiociner pour les moindres faits et gestes anodins qui se profilent, est prégnant à chaque page. Ça nous rappelle d'ailleurs la parodie qu'en avait fait Gintama avec le repas du nouvel an où chaque personnage envisageait de longues stratégies introspectives entre autres retournements de situation spectaculaires pour avoir la dernière tranche de porc.
On retrouve là aussi ces longues introspections décisives, se voulant sagaces pour certaines, et le tout, orchestré pour une basse affaire de mangeaille. L'un des dilemmes les plus insurmontables que rencontrera le personnage principal consistera par exemple à se faire entendre du chef au moment de commander dans un sushi bar. Le Gourmet ira jusqu'à envisager toutes les manœuvres concevables.... sauf de se lever pour mieux se faire voir et entendre.
Pas de mélancolie lancinante pour cette fois au menu. Le scénariste est autre que Taniguchi il faut dire. Nous serons ainsi libérés de la coutumière langueur scénographique de l'auteur qui aura cette fois évacué les ressentis pour s'en tenir à la surface des choses du simple bout de son crayon. Même si, malgré tout, on sent le naturel créatif de Taniguchi trépigner sous les traits.
Le premier chapitre clôturé, à mon tour, me voilà songeur. Est-ce que je viens de lire 20 pages d'un type qui a faim, va dans un troquet, commande à manger et ressort repus ? Il observe, il décrit, mais ce que j'ai lu vaut simplement une description littéraire d'un quelconque roman. Ça n'est pas un haut-fait et on ne retire rien d'autre que ce qui est : à quoi que quelqu'un qui est allé manger quelque chose.
Au risque de me comporter en parfait béotien - que je suis au demeurant - il n'y a vraiment rien de plus à se mettre sous le dent. C'est très court et... - j'aimerais vous dire «sans mauvais jeu de mot» - ça laisse le lecteur sur sa faim malgré la présentation d'un repas copieux. D'autant que 800 yens pour de pareilles portions, si le taux de change à l'époque était le même qu'aujourd'hui, c'est pas bien élevé.
Que de déconvenues pour le personnage principal qui, chaque fois qu'il commande, se voit frustré de découvrir que ce qu'il réclame n'est plus sur le menu. Ce sera à peu près toute l'adversité qu'il rencontrera dans son périple. Ça, et l'odeur des bouchées à la viande dans le shikansen ou encore le poireau qu'il laissera trop cuire dans le grill coréen. Autant dire qu'il faut avoir l'estomac bien accroché, parce que c'est intense à ce point-là.
La variété dans Le Gourmet Solitaire ? Elle se cantonne simplement au cadre du récit. Le restaurant n'est jamais le même - manquerait plus que ça - on nous présente bien plus que les murs mais, au-delà des murs, il n'y finalement pas de quoi repaître le lecteur. Surtout en un si court temps à chaque fois. Car un volume seulement, c'est pas moins de dix-huit aventures gastronomiques qui nous seront présentées. Autant dire qu'un chapitre est aussitôt achevé à compter de l'instant où vous l'avez commencé.
On y fait toutefois quelques découvertes. En un volume, on a couvert plus que Food Wars n'aurait pu aborder en une centaine de tomes. C'est un bon pamphlet publicitaire, avenant comme il ne saurait l'être davantage, un guide gastronomique d'excellence, mais en tant que manga, ça pèche méchamment pour ce qui est du contenu. Mais en un volume, il n'y pas matière à faire la fine bouche.
Les discussions de gargote ont un quelque chose d'authentique. Masayuki Kusumi est au scénario, mais on ne m'ôtera pas de l'idée que la griffe du père Taniguchi ne se sera pas installée insidieusement par-delà ses dessins. Il ne me frappe en tout cas pas comme un auteur qui se contenterait de prêter sa plume simplement pour donner un cadre à une histoire, pas à moins d'y avoir pris part lui-même. Taniguchi, au fond, c'est un conteur bien avant d'être un dessinateur ; ce serait gâcher sa contribution que d'espérer de lui qu'il s'en tienne à quelques dessins.
Dites-vous en tout cas que si le Gourmet Solitaire entre dans votre établissement, il va le toiser de part en part et le juger sévèrement avant même de passer commande. Et le pire, c'est qu'il vous invitera même pas sur M6 après pour vous humilier en public.
On a quand même une rupture dans le récit où, alors, il n'est plus question de bouffer, mais de s'engueuler avec le patron du resto qui passe son temps à réprimander son cuistot. Même qu'il y a de la bagarre et qu'on frôle limite le kaméhaméha. Et puis on retourne se baffrer le chapitre suivant. Mais cette fois, torse poil dans un stade. De la violence, de l'érotisme... mais y'a de tout dans ce manga ! Non, en réalité, il y a surtout de grosses tranches de rien bien fournies et assaisonnées. Mais on se rattrape à ce qui vient d'ici à ce que le volume se referme.
On a même droit à un chapitre où il passe son temps à chercher un restaurant avant de s'exclamer «Mais oui ! Un steak ça fera l'affaire» et le suivant, il fait ses courses à la superettes pour manger sur son bureau.....
Serveur ! Est-ce que je pourrais avoir du contenu sur mon néant aménagé ? Et du sel s'il vous plaît. Merci.
Y'a pas un sens caché, ni même un semblant de sous-propos ; y'a ce qu'on nous sert - qui est pas foncièrement copieux faut bien le dire - et rien en supplément. Si vous êtes tenté par l'expérience du Gourmet Solitaire, ne vous y jetez pas dessus l'estomac vide, vous seriez sûr de ne pas être rassasié.
Pour ceux chez qui Le Gourmet Solitaire aurait en tout cas ouvert l'appétit sans pouvoir le rassasier, il y a un remède. Les aventures de Tonegawa, complétées par les périples d'Ootsuki, occasionnèrent certaines des plus savoureuses chroniques de boustifaille que j'ai jamais pu constater. Si l'estomac gargouille, laissez-vous tenter - non sans avoir pris connaissance des aventures de Kaiji au préalable bien entendu.
En somme, le Gourmet Solitaire, ça se conçoit comme un amuse-gueule. C'est-à-dire qu'il faut aller très au-delà pour seulement espérer en faire un repas.