Le Grand Incident de Zelba : une fable féministe en demi-teinte

Autrice de romans graphiques allemande implantée à Saint-Étienne, Zelba nous présente pour cette rentrée littéraire son dernier projet : Le Grand Incident. Une fable fantasticomique et burlesque au pitch accrocheur : un jour, au beau milieu du musée du Louvre, les femmes nues disparaissent. Tableaux ou sculptures, toutes souhaitent se soustraire au regard masculin.

Une « méta œuvre » splendide

Ayant fait le choix du roman graphique traditionnel, Zelba nous offre une belle démonstration de savoir-faire. Les médiums se déploient au fil des pages, l’aquarelle en particulier est réservée à la reproduction des œuvres du Louvre, qui peuvent ainsi conserver toute leur majesté dans l’ouvrage malgré le changement d’échelle et la simplification du trait. Un parti pris réussi pour l’autrice, dont les derniers livres étaient réalisés à la tablette graphique.

Une prise de position timide

Le Grand Incident se réclame d’un féminisme contemporain en questionnant le regard masculin, le harcèlement de rue, l’héritage colonial… Ces thématiques sont cependant abordées avec une légèreté déconcertante, et exposées dans des scènes qui manquent souvent de subtilité : le personnage de Charles notamment, opère un revirement féministe à 180 degrés après 20 minutes passées en jupe et talons hauts, et le twist final désamorce l’engagement du reste de l’ouvrage. Le livre reste bienveillant et constitue une porte d’entrée, une piste de réflexion à destination d’un nouveau public féministe, mais nul doute qu’il lassera quelque peu les lecteurices plus décontruit.es.

Partenariat avec le Louvre

Avec cet ouvrage, Zelba vient rejoindre la collection Louvre Éditions. La mise en valeur des œuvres est au cœur du récit, et les références à l’histoire de l’art sont assez habilement mises en place pour ne pas perdre un.e spectateurice novice ou sembler trop didactique à un.e lecteurice initié.e. Ce n’est d’ailleurs pas la postface écrite par l’autrice qui vient clore le livre, mais bien un texte de Fabrice Douar, le responsable éditorial du musée. Cette collaboration questionne l’importance du rôle des éditeurs dans la création artistique : à quel point peut-on critiquer les collections et la direction du Louvre lorsque ce sont ces derniers qui financent le projet ? On peut s’interroger sur l’intention du musée qui soutient -pour ne pas dire dirige- cet ouvrage : volonté de reconnaître et participer à des enjeux contemporains, ou contrôle d’une critique qui sera forcément émise ? A quel point les mots de Zelba ont-ils été régulés -censurés ?- par une direction rendue frileuse par un choix aussi politique que celui de faire du corps des femmes le centre du livre ?

Le Grand Incident reste un bel hommage aux collections du Louvre qui prend forme dans une fable légère et pédagogique. Sans être un manifeste féministe, le dernier ouvrage de Zelba a le mérite de mettre en lumière l’influence du regard masculin dans l’art et de proposer une réflexion intelligente sur ce que l’on regarde, pourquoi, et surtout comment.