Les Trois Immortels de la BD franco-belge

Les trois immortels.

Van Hamme, Rosinski et la Belgique.
Sûrement la plus belle paire auteur/dessinateur du monde de la bande-dessinée franco-belge…

Pourtant je l’avoue, « Thorgal » – la saga par laquelle s’est illustré le duo – n’est pas forcément ma saga préférée.
Il y a des hauts. Il y a des bas. La conséquence inévitable des univers qu’on délaye trop.
Et l’un dans l’autre « Thorgal » est souvent une saga bancale…
…Une source de frustration et une impression de gâchis.

Alors forcément, quand j’ai découvert sur le tard que le duo avait commis en parallèle une saga fantastique qui n’avait rien à voir – et qui plus est regroupée de seulement trois albums (aujourd’hui compilés en un seul) – forcément ça m’a rendu curieux…
…Avant de me rendre ravi.

Parce que oui, ça m’a vraiment fait du bien de parcourir ce « Grand pouvoir du Chninkel. »
Ça m’a fait du bien d’abord parce qu’on retrouve Rosinski au sommet de sa forme.
Ah ça ! Son trait si unique, il me fera toujours voyager…
Surtout que, pour l’occasion, avec Van Hamme comme coéquipier, ils se sont tous deux autorisés à un format vraiment « open bar ».
Parce qu’en effet, « Le Grand pouvoir du Chninkel » entend s’inscrire dans un monde purement fantastique : système solaire mystérieux. créatures fantastiques. Divinité(s) inconnue(s) régentant l’univers…
…L’occasion était donc trop belle pour Grzegorz Rosinski de se lâcher dans la création visuelle et il ne s’en est pas privé.
Alors certes, on ressent l’énorme influence du « Seigneur des anneaux » et de l’univers habituel d’heroic fantasy déjà installé à l’époque – de même qu’on pourra tiquer sur l’emprunt trop manifeste au monolithe de « 2001 » pour représenter la divinité suprême de cet univers – mais il n’empêche que cette composition visuelle reste très belle.
Il y a toujours ces petites touches qui font que les créatures et les univers de Rosinski ont leur identité propre.

Et puis à côté de ça, on sent aussi que, dans cette trilogie, Van Hamme s’est fait plaisir.
Alors certes, comme dit juste avant, Van Hamme reste Van Hamme, c’est-à-dire que son écriture reste très dépendante des codes et univers déjà installés dans l’imaginaire collectif…
…Et un peu comme « XIII » reste très empreint des romans de Ludlum et « Thorgal » de mythologie nordique, ce « Grand pouvoir du Chninkel » est très inspiré – comme précisé juste au dessus – de l’œuvre de Tolkien mais aussi en grande partie des mythes bibliques.
En cela l’auteur belge fanfaronne sûrement un peu trop quand il dit qu’il s’est amusé à aller piocher dans toutes les cultures car, dans les faits, ce sont clairement les récits judéo-chrétiens qui dominent.

…Malgré tout je veux bien croire que Van Hamme se soit amusé à écrire ce scénario.
On sent qu’il y a un côté filou et gratuit. Gentiment démystificateur d’ailleurs.
L’écriture du héros est d’ailleurs particulièrement bien sentie. Ni vraiment noble, ni vraiment odieux… Il est juste une petite chose qui ne comprend pas tout, qui est bien plus objet qu’acteur du destin, et qui n’en reste pas moins habité par ces envies triviales qui l’empêchent d’être pleinement un héros.
On retrouve d’ailleurs toutes les manies de Van Hamme dans cet album : des filles à gros seins qu’on dessape pour un rien, du cul, de la cruauté, du cynisme et ces petits hasards qui rappellent chacun à son insignifiance.
Seulement ici, tous éléments sont employés avec une certaine légèreté assez rafraichissante et parfois même une frivolité qui n’a pas été pour me déplaire.

D’ailleurs l’ensemble est plutôt bien équilibré et boucle son mythe habilement

Comme d’habitude avec Van Hamme, le cynisme et l’absurdie triomphent (ce qui n’est pas pour me déplaire) mais surtout il sait trouver un équilibre plutôt astucieux entre ce qui est attendu de la fin d’un grand mythe et qu’on est en droit d’exiger d’inattendu.
Le petit retournement final est amusant quoi qu’un peu tordu…

…Malgré tout ce n’est clairement pas sur ce genre de détails que je me suis arrêté, surtout au regard de l’état d’esprit général.

Au final ce « Grand pouvoir du Chninkel » sait être ce que j’attends d’une bande-dessinée.
Il est d’abord un bel objet rempli de compositions sublimes.
C’est le genre d’album qu’on peut ouvrir sans lire et se laisser aller au seul plaisir de l’image.
C’est aussi un univers de posé, riche et stimulant les sens comme moi je l’entends.
Et surtout c’est un parcours narratif marquant, qui sait laisser une trace au travers d’évènements qui ne laissent pas indifférents…
…Un parcours qui a le mérite de laisser songeur, aussi basique et/ou classique le songe puisse-t-il être.
En d’autres mots, cette trilogie arrive à s’imposer dans mon esprit comme une belle Trinité…
…Celle qui, à l’image des Trois Immortels présents dans sa saga, ont su marquer mon esprit par la force de leur trait plutôt que la par la longueur testamentaire que peuvent prendre certaines sagas.
Quand on sait la propension qu’ont les œuvres de Van Hamme a se multiplier comme des petits pains, on aurait presque tendance à vouloir lui rappeler l’existence de cette vieille trilogie sacrée…