Maurice de Bevere est l’homme d’un seul amour, du moins le dessinateur du seul Lucky Luke. Ce cow-boy solitaire évolue dans un univers de western réaliste et humoristique. Il lui consacrera 73 albums de 1949 à 2002, pour plus de 300 millions d’exemplaires vendus en 29 langues. Dès 1957, il abandonne l’écriture des scénarii. Bien que Morris lui interdise les calembours, René Goscinny accentue l’aspect parodique et déploiera toute l’étendue de ses dons en jouant sur les anachronismes, les archétypes et les références culturelles. Luke tire désormais plus vite que son ombre et s’éloigne en chantant « I'm a poor lonesome cow-boy and a long long way from home ». Jolly Jumper marmonne, raisonne et cite Sully Prudhomme. Bientôt, apparaitront les frères Dalton, que Morris a maladroitement laissé tuer, et Rantanplan, l’anti-Rintintin.
Une fois n’est pas coutume, l’histoire du Juge s’ouvre sur un Lucky Luke cow-boy convoyant un troupeau de bovins. Sa route croise celle du juge Roy Bean, une légende de l’Ouest, historique bien qu’oubliée. Le dessin reste perfectible : des proportions sont hasardeuses et il abuse des personnages monochromes. Bien planté, le décor nous plonge dans une société d’aventuriers livrée à la loi du plus fort.
L’inénarrable Juge s’appuie sur Joe, un belliqueux et vigoureux ours brun, auxiliaire de justice intermittent et intempérant. Luke fume et boit : très stricte sur les scènes de violence, la censure tolère alcoolisme et tabagie. Il joue peu du pistolet, mais de son sang froid enjoué et de sa sagacité, manipulant avec brio ses deux adversaires. L’album souffre de la faiblesse des personnages secondaires, Bad Ticket est stéréotypé et les bourgeois de Langtry peu consistants.
L’idée originale d’un "juge et barman" autorise de nombreuses surprises scénaristiques et des audiences animées. En terme de polyvalence, les comics iront plus loin : le Juge Dredd cumule les rôles de juge, juré, et bourreau.
Critique réécrite en sept 2016