Le Labo
6.5
Le Labo

BD franco-belge de Hervé Bouhris et Lucas Varela (2021)

Aux origines de la micro-informatique

Qu’est-ce que le labo évoqué par le titre ? C’est une sorte de mobile-home futuriste planté dans le parc d’une immense propriété située à Beyariac (Charente). Là, des techniciens passionnés d’informatique travaillent à la mise au point de machines au formidable potentiel. Problème : ils ont du mal à convaincre leur entourage de ce potentiel.


Le nœud de l’histoire se situe en 1975, alors que dans cette propriété se joue le futur de Bercop, une entreprise spécialisée dans les copieurs. Tout frais diplômé, Jean-Yves, le fils promis à la succession a des idées originales qui ne cadrent pas vraiment avec ce que son père, le dirigeant de la boîte, a en tête. Concrètement, Jean-Yves ne s’intéresse qu’à l’informatique et au développement de certaines de ses possibilités. Du coup, le père donne une sorte d’ultimatum à son fils. Jean-Yves va devoir démontrer qu’il peut effectivement, avec son équipe, mettre au point quelque chose qui sera commercialisable et donnera éventuellement un second souffle à l’entreprise familiale.


L’informatique comme source d’inspiration


Même si tous ceux qui l’ont lue ne pourront qu’y penser, la présente BD n’a rien à voir avec un copié-collé (pour utiliser un terme technique adapté au contexte) de Jean Doux et le mystère de la disquette molle (Delcourt-Tapas – 2017). En effet, les personnages engagés par Jean-Yves travaillent à l’élaboration du matériel informatique, tandis que la BD de Philippe Valette s’intéresse plutôt aux premiers utilisateurs en milieu professionnel. Nous baignons tellement dans l’informatique, désormais, que le sujet parle. La technique a fait un tel bond qu’évoquer la période des débuts donne l’impression (amusante) de revenir à des temps antédiluviens.


Informatique et stratégie


Hervé Bourhis (scénario) et Lucas Varela (dessin, dans un style influencé par Alexandre Clérisse) s’amusent à broder autour de ce qui s’est passé à l’époque dans ce milieu, surtout en France, en ironisant par rapport à ce qui aurait pu émerger. Ils ont quand même l’avantageuse position de ceux qui savent ce qui a marché et dans quelle direction les efforts ont porté pour nous conduire à la situation actuelle. Il fallait être quelque peu visionnaire pour imaginer en 1975 tout ce que l’informatique permettrait. Que les auteurs ironisent sur les débuts embryonnaires de ce qu’est devenue la micro-informatique, cela peut se comprendre, parce que c’est le socle commun qui a permis d’autres exploitations. Qu’ils aillent jusqu’à évoquer la téléphonie mobile, les texto et les jeux vidéo, c’est peut-être aller un peu loin, même si tout est évidemment lié (le personnage de la sœur de Jean-Yves me paraît un peu facile). Bref, ils creusent un sillon qui trouve sa base dans le choix français de développer le minitel. Une technologie désormais tellement datée que les plus jeunes ne s’en souviennent même pas. Mais c’était le choix français pour la mise en réseau de données utilisables par un grand nombre d’usagers. Peut-être n’a-t-on pas vu (ou voulu voir) en France, l’incroyable potentiel de la mise en réseau de données accessibles à tous les utilisateurs d’un ordinateur. Rappelons quand même que l’ancêtre d’Internet n’était utilisé que par les militaires, soit des maniaques du secret et de la diffusion restreinte. Il faut croire (et la BD le fait sentir) que les différences de mentalités française et américaine influent sur des choix stratégiques aussi cruciaux. À une heure où, au plus haut niveau de l’État français, le discours officiel est qu’il faut tout faire pour éviter de prendre du retard, en particulier sur le plan technologique, cette BD propose un scénario malin. En effet, le bon fonctionnement des relations entre les pouvoirs publics (les preneurs de décision) et la communauté scientifique reste aléatoire. C’est ainsi que le choix français du minitel, finalement incompatible avec le système devenu incontournable (Internet), s’avéra maladroit. Résultat, en se voulant audacieuse, la France dut se contenter d’un coup d’épée dans l’eau, alors qu’une autre voie aurait peut-être été possible. Avec ses défauts, cette BD raconte l’exploration avortée de cette voie.


Originalité et maladresses


Parmi les défauts de cette BD, il y a cette imbrication de faits (et personnages) réels, avec une trame fictive. On hésite beaucoup à démêler le véridique du fictif. D’autre part, j’ai trouvé absolument inutile l’introduction située aujourd’hui, pour faire du reste du récit une sorte d’immense flashback. Un procédé déjà beaucoup trop utilisé au cinéma. Je reste également perplexe par rapport à ces quelques planches qui reviennent comme un leitmotiv pour montrer Jean-Yves dans son exploration de la voie sportive par le footing (terme de l’époque, jamais utilisé ici, car sans doute trop connoté ringard), présentée comme une sorte d’addiction alternative à la fumette. Enfin, le rôle du milieu politique est traité non de façon caricaturale, mais simpliste. Pour mémoire, en 1975, Valéry Giscard d’Estaing était président depuis un an, mais il n’est jamais évoqué ici. Quant à Jacques Chirac, président ultérieur, on pense à sa marionnette aux Guignols de l’info, à cause d’un tic de langage devenu très populaire.


Le jeu sur quelques points révélateurs


L’évocation de l’époque fait partie des points qui rendent la BD amusante. L’ambiance est rendue par de nombreux détails, vestimentaires, comportementaux, explosions psychédéliques, etc. Des noms de marques (ainsi que des mots de vocabulaire) sont détournés, plaçant les personnages comme dans l’exploration d’une faille de l’espace-temps parallèle à celle que nous avons suivi. Parmi les détails révélateurs, je note le logo sur le T-shirt de Jean-Yves (illustration de couverture). Parfaitement identifiable à première vue. Pourtant non, malgré son attitude, il ne s’agit pas d’un crocodile vert ! Effet amusant au premier degré. Malheureusement, ce détournement de marque(s) revient à les citer et donc à leur faire malgré tout une certaine forme de publicité.


En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées


Ce slogan n’est postérieur que d’une année (1976) et s’il se voulait positif et encourageant, il est passé à la postérité surtout pour la façon dont l’imaginaire populaire l’a détourné. La BD détaille avec une certaine inventivité (qui se manifeste aussi bien du point de vue du scénario que par les dessins) l’enchaînement des situations conduisant à l’échec français dans ce projet d’élaboration d’un réseau informatique souple et pérenne, malgré un immense potentiel. Les raisons ? Probablement multiples et réparties à différents échelons (conception, décision), avec malheureusement la façon typiquement française d’aborder un problème en cherchant à maintenir notre indépendance. Pour reprendre le slogan de 1976, en France, nous avons effectivement des idées et du potentiel, mais nos choix s’avèrent souvent discutables. Les idées ne suffisent pas…


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 19 févr. 2021

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