Ce sera cinq Prozac pour moi...
Tout comme je n’aime pas la mayonnaise allégée, le fromage sans matière grasse, tout comme je déteste la bière sans alcool, le beurre qui t’épargne du cholestérol ou les bonbecs qui filent pas de carie, j’ai tendance à avaler de travers un humour gris clair certifié sans agent corrosif quand on m’appâte à la gourmandise noire glauque option burlesque.
Avec son idée de départ originale et son titre à grincer des dents, « Le magasin des suicides » éveillait les promesses d’impertinence cynique entre tragique et grotesque. Pensez donc ! Une famille faisant bizness de la mort, dans une société dystopique où pullulent les dépressifs chroniques. Des candidats à l’autodézingage, impatients de se libérer de leurs noeuds gordiens existentiels, les passant au fil du rasoir, à la lame du seppuku ou se glissant de plus coulants autour du kiki. La garantie d’un potentiel client inépuisable pour qui vend les accessoires adéquats. Mais quel malheur quand déboule le dernier né, un bambin joyeux qui risque de foutre la pagaille, et accessoirement propager le bonheur, dans un magasin réputé où le respect et la fidélité du client imposent grisaille, mal-être et morosité permanents.
Alléchant menu ! Mais au moment de l’addition, un constat : choisis ta recette camarade ! Il y avait matière à beaucoup mieux et moultes approches imaginables : verser franchement dans l’absurdus delirium estampillé Monty Python, le funeste gothico-drôlatique d’un Adams family, adopter l’esthétisme et la poésie morbides façon Burton ou encore emprunter le chemin d’idées noires sulfurées à la mode Frankin. Un saupoudré édulcoré de tout ça ne pouvait que composer les arpèges boiteux d’un requiem cocasse manqué.
Des personnages désespérément lisses (mais caractérisez moi ces gus, bordel !) dans un fond laissant la part belle à un blabla creux pour justifier que machin est anorexique, que truc est mal dans sa peau ou bidule a la joie de vivre (regardez, z’ai fait de zolis dessins colorés !), mais également dans la forme où le trait radin dépouille les expressions, abandonnant les personnalités à trois coups de pinceau aux codes chromatiques sacrément "originaux" (gris, brun = pas heureux – couleurs flamboyantes = heureux). Un sel absent dans le contraste négligé et facile de protagonistes décidément fadasses auquel s’ajoute l’impression d’être pris pour une quiche tant on est constamment abreuvé d’explicatifs, alors qu’une modeste allusion par-ci, un regard réussi, un silence par là seraient plus convaincants
Le raté serait sans appel si quelques parlottes béhavioristes, gadgets et autres méthodes sur l’autozigouillage extorquant un ou deux déridages des commissures de lèvres, une mise en cases bougrement inspirée (point fort incontestable), ce dessin sobre, agréable, nonobstant son cruel manque d’expressivité, et la fin bien sentie ne sauvegardaient le reste des meubles dans cette bande dessinée qui faillit ressembler à un simple catalogue, un empilement d’idées (faussement ?) pittoresques, énumérant, à trop grand renfort de conjectures, les cent et une façons de passer l’arme à gauche.
Désabusé et même pas mort… de rire.