Fin 2016 la dixième édition du Prix du manga international accordait sa plus haute distinction à une bande dessinée parue en 2015 chez Dargaud : le Maître d'armes. C'est en prenant connaissance de ce prix et en lisant le synopsis que la curiosité m'a piqué et que je me suis plongé dans ce one-shot qui tient toutes ses promesses.
Il était une fois dans le Jura...
Si le massacre de la Saint-Barthélémy n'aura lieu que dans quelques décennies les temps ne sont pas joyeux pour les protestants de France en 1535. Certains ont entre les mains une Bible traduite en « vulgaire » (français). Bible qu'ils veulent faire imprimer en Suisse. Une telle perspective ne plaît pas à Rome, à la Sorbonne : la tentative de traduction doit être tuée dans l'œuf. Une véritable chasse à l'homme (et au livre) s'organise.
Dans leur fuite vers la Suisse, Gauvin (ancien chirurgien du Roi), Casper (le garçon qui l'accompagne) et le livre traduit retrouve un vieil ami du premier : Hans Stalhoffer. Ancien maître d'armes du Roi François Ier il vit désormais retiré suite à un duel qui n'a pas très bien tourné.
Le Jura n'est pas une terre accueillante : entre la nature quelque peu hostile et des autochtones adeptes de Sainte-Agathe et imputant leur malheur aux protestants, Gauvin et Casper ne sont pas entourés d'amis. Et comme Gauvin a la langue un peu trop bien pendue...
Une dernière aventure ou le début d'une nouvelle ?
Après des hésitations et quelques (très) mauvais coups du sort, Hans s'implique dans la folle aventure. Cela lui permettra de croiser l'actuel maître d'armes du Roi et sa rapière : Maleztraza. Hans exècre l'homme et sa lame, notamment parce qu'à ses yeux la rapière est l'« arme des marchands et des bourgeois », éloignée au possible de l'honneur des chevaliers et de l'épée.
Derrière le choix de la rapière se cache une évolution profonde dans la manière d'apprendre à user d'une lame, de faire la guerre et de constituer une armée. Pour autant, Hans n'apparaît pas comme un réactionnaire défendant un ordre immémorial mais comme le tenant d'une certaine résistance à l'invasion de l'argent et d'une manière de combattre qui, à ses yeux, n'est pas la plus efficace ni la plus noble.
L'époque retenue participe à cette impression de changements en train de se faire, de luttes entre des ordres ancien et nouveau. Outre l'art de l'épée, il est aussi question du rapport de l'Homme à Dieu , la Renaissance perce tout doucement entraînant avec elle la volonté de penser sans se référer à ceux qui « connaissent » Dieu et sa parole. Et cela ne se fait pas en douceur...
Tensions et réalisme
Concentré dans les pages (moins de 100), le Maître d'armes l'est aussi dans le temps car le plus gros de l'intrigue se déroule sur quelques jours. Peu de repos pour les personnages, la tension est permanente. Elle se lit aussi dans les visages, dans les décors : la montagne est belle mais peut devenir féroce en hiver. Á noter que si l'on aperçoit brièvement quelques femmes, surtout en fin d'ouvrage, elles sont absentes du one-shot.
Les héros sont donc des hommes - et un livre ! Hans Stalhoffer, personnage plutôt âgé, permet de disposer d'un personnage qui a vécu, qui est quelque peu désabusé et sceptique par rapport au monde qui l'entoure mais qui sera secoué, notamment par le bout de chemin fait avec Casper - qui a des airs de Thorfinn (Vinland Saga) sur les 1ères planches où il apparaît. Un agencement qui partage quelques points communs avec Logan.
Autre point qui interpelle : le réalisme. Outre celui des décors, il convient de s'arrêter sur celui des combats. Comme le notent Xavier Dorison et Joël Parnotte, ils ont bénéficié des conseils de Lutz Horvath. Comme pour d'autres séries (Blood & Steel, Vagabond...), ce souci du détail permet au dessin d'offrir des positions, des échanges de coups correspondant plutôt bien aux affrontements de l'époque. L'œil peut ainsi s'arrêter pour voir les positions, composer les mouvements des personnages pour combler ce que le dessin ne montre pas...
Le Livre de Hans
Avec une intensité qui ne se dément pas du début à la fin, le Maître d'armes allie un récit concentré offrant son lot de surprises - et qui pose nombre de questions contemporaines (l'accès au savoir et à la foi, le rapport entre les deux, le retrait du monde, la défense d'une cause plus grande que sa personne...) - à un dessin et une composition qui retranscrivent bien l'ambiance de traque et d'époque charnière. On referme le volume prêt à le relire dès qu'une occasion se présentera tant le duo Xavier Dorison-Joël Parnotte livre un travail abouti.
Critique version longue et illustrée à retrouver par ici.