Que se passe-t-il lorsque deux auteurs de BD français abandonnent leur table à dessin pendant quelques jours pour un petit périple dans la jungle amazonienne? C’est à cette question que répond « Manuel de la Jungle », un reportage graphique hilarant sur l’expédition de Joub et Nicoby en pleine forêt guyanaise, à l’invitation des enseignants locaux Olivier Copin et son beau-frère Jérôme, deux baroudeurs manifestement beaucoup plus à l’aise qu’eux. C’est précisément cette opposition entre les deux as de la jungle d’un côté et le tandem Joub-Nicoby de l’autre qui fait tout le sel de ce livre. Car il faut bien le dire: les deux auteurs de BD n’hésitent pas à en remettre une couche pour souligner à quel point ils ont eu la trouille! Tout leur fait peur dans cette jungle pleine de bruits et d’animaux étranges. Même s’il leur arrive de se détendre un peu l’espace de quelques minutes, ils sont terrorisés à peu près tout le temps, ce qui donne évidemment lieu à des scènes très cocasses. Surtout qu’à l’inverse, Olivier et Jérôme sont dépeints comme deux sacrés durs, qui affrontent la jungle et ses habitants comme si de rien n’était, le sourire aux lèvres et une bière à la main, et qui prennent un malin plaisir à raconter leurs histoires de combats homériques avec des caïmans ou des hippopotames. Ce qui ne fait évidemment qu’accentuer l’état de panique de Joub et Nicoby.
Surfant sur la vague des BD reportages, dont Emmanuel Lepage ou Etienne Davodeau sont les chefs de file, « Manuel de la Jungle » joue la carte de la légèreté et de l’humour pour nous raconter quelques jours au coeur de l’exubérante nature guyanaise, magnifiquement mise en image par un style de dessin faussement simple et naïf. Etienne Davodeau rend d’ailleurs un bel hommage aux deux auteurs dans la préface du livre: « Se balader dans ces endroits-là, c’est mettre en jeu des choses qu’on tient pour acquises dans notre vie quotidienne métropolitaine, c’est redevenir un frêle mammifère dans un biotope où on n’est pas maître de grand-chose. C’est une expérience unique et très racontable. Il arrive que la bande dessinée permette ce genre d’expériences, qui font d’une lecture un voyage, alors il ne vous reste plus qu’à vous installer avec eux dans la pirogue », ecrit-il. Mais surtout, la force de Joub et Nicoby est de parvenir à aller au-delà de leur petite expérience personnelle pour faire passer un message plus universel. Au fil des pages, ils font comprendre au lecteur qu’en réalité, ce ne sont pas les animaux sauvages qui sont les plus dangereux dans la forêt amazonienne, mais l’homme. Alors qu’ils pensaient être plus ou moins seuls au monde dans leur jungle hostile, Joub, Nicoby, Olivier et Jérôme se retrouvent en permanence confrontés à des visiteurs nocturnes inattendus, en l’occurence des orpailleurs clandestins qui cherchent à extraire de l’or dans une zone pourtant protégée, et qui n’aiment donc pas être dérangés. A un moment donné, des coups de feu sont même échangés, ce qui amène les auteurs aventuriers à retourner plus vite que prévu à la civilisation… et à leur table à dessin. Au final, « Manuel de la Jungle » est donc bien plus qu’un simple carnet de voyage, c’est aussi un témoignage fort sur le fait que l’homme et le monde moderne laissent de moins en moins de place à la vie sauvage. « J’avais peur des bêtes, mais c’est l’humain qui n’est pas gérable », conclut Nicoby.
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