Voilà de la fantasy qui nous change agréablement des habituels écrabouillements de cervelles d'orcs et de rots et de pets supposés marrants pour évadés de la maternelle du quartier.
Le dessin de Lereculey, clair, classique, soigné, lumineux et bien colorié, introduisant un sentiment de réalisme dans un monde parfaitement irréel (ce qui n'est pas facile), enlève l'adhésion au récit. Les scènes de pénombre, idéalement contrastées, les paysages de rocs et de landes que l'on jurerait avoir parcourus, les architectures, peu ou prou médiévales, parfois orientalisantes (planche 19), les gestes bien saisis dans leur instantanéité impétueuse lors des combats et des chevauchées (planches 46-47), les trognes burinées des humains et les distorsions poilues des monstres (les skwaars avec qui on ne s'attarde pas à tenter des séances d'orthophonie), la froideur sinistre et mortelle d'un torrent se battant avec des roches agressives pour se frayer un chemin (planche 31), le jeu savant et toujours renouvelé des superpositions de vignettes délimitées sur des décors pleine page, les rougeurs orangées des scènes de taverne (planches 40-42), voilà qui séduit furieusement et impose le respect.
David Chauvel n'est pas en reste. Son texte et ses dialogues, corrects, académiques, en harmonie donc avec les dessins, ont la courtoisie de ne pas nous infliger une fois de plus les attentats à la langue française, dont les scribouillards de la BD font parfois leurs choux gras sous prétexte de faire populo, familier ou viril. Tous les personnages s'expriment correctement, et rien que cela leur confère une dignité qu'on est impuissant à ressentir devant la fantasy tissée au kilomètre par des auteurs sans classe, et qui ont appris à écrire en lisant leurs textos.
Le schéma classique d'une quête associant d'emblée des personnages aux compétences variées - et parfois inconnues au départ - est bien exploité : Etzarn, "premier rétiaire" (habile emprunt d'un élément antique placé dans un cadre médiéval), moustachu comme Tarass Boulba, autoritaire et jouant des mécaniques, Jokkï le nain (dont le nom tire vers les sagas islandaises), effectivement pas grand, mais saisi par moments de la rage guerrière invincible des berserkrs (je préfère l'orthographe en vieux-norrois), un gobelin diabolique, grimaçant et borgne, plus traître que Judas dans ses meilleurs jours, le vieux Rohrr, grand connaisseur des contrées dangereuses, Maître Ivarr, bel archer qui a son air de mousquetaire Louistreizième, la jolie guerrière Onimaku...
Dans les temps calmes de la quête, tout ce beau monde se raconte sa vie, ce qui permet des flash-backs utiles pour enrichir le récit. Le rythme du récit donne le sentiment que l'on n'est qu'en début d'une longue quête, ce qui contredit un peu le sous-titre "Le matin des cendres", annoncé pour seulement deux épisodes. Quant au titre principal, "Wollodrïn", il n'est encore prononcé nulle part.
Voilà qui nous promet du plaisir !