(écrite l'an dernier, peut-être pas la meilleure critique sur cette bédé mais je pense qu'elle en donne un aperçu assez fidèle)
Vous qui séjournez en enfer, gardez espoir!
On peut partager le diagnostic sociétal de Jancovicious : on vit dans une société mondiale dépendante des énergies à haut rendement, moteurs du diktat de la "croissance économique". Les rendements des machines augmentent, mais l'utilisation de pétrole et de charbon aussi croit sans cesse, et de manière accélérée.
La description de ce monde interconnecté d'industries interdépendantes renvoie au constat des collapsologues : nous sommes prisonniers d'un maillage sans échappatoire. La majorité de nos activités sont vouées à l'accumulation d'une myriades d'objets dont la production frénétique cumule les pollutions diverses et massives. Jancoco préfère attribuer cela à un trait de caractère qui trouve son origine dans notre cerveau, une soif inextinguible d'accumulation qui est dans la nature humaine, plutôt que d'y voir le résultat du but ultime, absolu et universel de la recherche du profit.
Pourtant, Jancovizir fait bien le constat sans concession de l'impasse du modèle de la croissance illimitée dans un monde limité. Alors que les réserves "traditionnelles" d'énergie bon marché et efficace déclinent (le pétrole, beaucoup plus énergétique que le gaz) et sont extrêmement polluantes (le charbon), les moyens de captation des sources d'énergie alternatives sont (pour le moment?) remarquablement inefficaces : rendement très faible de l'éolien et du solaire, dont l'approvisionnement énergétique aléatoire maintient la dépendance aux centrales (charbon, gaz, nucléaire) pour compenser leur fonctionnement intermittent - sans oublier que la fabrication de ces technologies repose sur des industries polluantes.
De ce bilan cauchemardesque, Jannot tire un raisonnement implacable : si l'on doit réduire notre modèle productiviste, cet horizon lointain doit s'accompagner à court terme, d'une réponse à l' urgence climatique, et d'une réduction rapide de nos émissions de gaz à effet de serre. Et la seule solution qui permette d'adoucir la transition vers une société moins polluante en réduisant immédiatement la production de dioxyde de carbone, c'est l'énergie nucléaire.
Bien qu'issu du sérail polytechnicien français, Vici se présente comme un électron libre, et selon ses dires, c'est un travail de consultant indépendant pour france telecom qui l'aurait amené à approfondir le sujet du réchauffement climatique provoqué par les activités humaines, au milieu des années 90. Le bilan carbone sera son invention. A l'évidence, Jancovizir a l'oreille des puissants depuis des décennies.
Après nous avoir tétanisés en reprenant les analyses des écologistes, il nous offre la panacée techno-industrielle ; étonnamment, c'est ce vieil amour de l'état français, qui s'était malheureusement détourné d'elle depuis quelques années - la faute à tchernobyl et fukushima, qui ont créé une ambiance mondiale défavorable. Alors il faut re-conditionner les esprits, pour leur faire accepter la solution nihiliste de notre société infernale : le nucléaire.
Français, encore un effort si vous voulez continuer à vivre comme des porcs
Les écolos sont inconséquents : ainsi des donneurs de leçons allemands dont l'industrie florissante a toujours dépendu de centrales à charbon fâcheusement polluantes. Venividivici va consacrer toute la dernière partie de l'ouvrage à faire la promotion du nucléaire en mentant éhontément sur ses légers désagréments. Il minimise de manière absolument délirante les conséquences de la catastrophe de tchernobyl sur la santé des populations (30 morts, quelques petits problèmes de thyroide sans gravité pour 6000 personnes) ; les quantités de déchets qu'il faudra stocker (une piscine? WTF???) ; il élude les problèmes liés à l'utilisation d'une eau qui a déjà commencé à se raréfier, pour le refroidissement des centrales... Il ment par omission : aucune mention n'est faite des pollutions chroniques causées par les rejets des eaux de refroidissement, dont la chaleur perturbe les écosystèmes, et qui sont contaminées par les solvants et détergents servant à nettoyer les tuyauteries ; ni des fuites radioactives, des cheminées qui rejettent de l'hydrogène radioactif en permanence (on préfère toujours se concentrer sur les grosses cheminées de refroidissement bien visibles, qui ne rejettent que de la vapeur d'eau - supposément), des rejets d'hexafluorure de soufre (puissant gaz à effet de serre) des failles, des incidents perpétuels, des nettoyeurs itinérants qui sacrifient leur vie à l'entretien des centrales...
Dans ce livre, rien de tout cela n'existe.
Non, le stockage n'est pas un problème insoluble ; non, les risques sont négligeables. Non, ne nous interrogeons même pas sur les implications politiques de cette industrie centralisée, anti-démocratique - pour des raisons de sécurité, de lien avec le nucléaire militaire, de concentration du pouvoir de décision et d'intrication entre pouvoir politique et technocratique. Qu'elle soit basée sur l'exploitation de mines dans des conditions déplorables pour les hommes et l'environnement... Ma foi, comparé aux morts causées par les mines de charbon directement (les mineurs) et indirectement (ceux qui respirent l'air pollué par les centrales et usines à charbon), hein...
Tout ça pour ça
D'où il ressort que JMJ use d'une technique de désinformation éprouvée : noyer le mensonge dans une masse d'informations exactes (tant qu'elles ne concernent pas les aspects pratiques de l'extraction de l'énergie nucléaire, donc). Faire passer en douce le message erroné, dilué dans un jet nourri de données vérifiées.
Tout le livre prépare le terrain, pour nous fourguer sa soupe. Il installe la peur, et nous offre au final LA SOLUTION. Ouf. Notre sauveur.
Le métier de Janjan est la communication (il se présente lui-même comme ayant tenté initialement de travailler dans le film d'entreprise, puis...il ne détaille pas). Cette bande dessinée participe à la fabrication de son image publique, et participe d'une campagne publicitaire. Son "think tank", le Shifty project (shift : changement, décalage, accommodement...)(shifty : fourbe), est un organisme de lobbying qui noyaute tous les débats publics sur les questions d'écologie, d'énergie, de choix de société.
Il fournit des arguments aux tenants de l'industrie nucléaire française - aussi ai-je entendu, dans la bouche de pontes du nucléaire français consultés par une commission parlementaire, déplorer l'ouverture de l'énergie nucléaire à la concurrence, la vente à perte de l'électricité aux fournisseurs privés, l'instabilité et les coûts supplémentaires dus aux financement privés, l'inefficacité de la gestion privée des infrastructures stratégiques (réseaux divers)...Le nucléaire doit redevenir le monopole d'état qu'il a vocation à être, on a bien compris.
Jancovidou a mis ses billes dans le nucléaire. Il a tenté l'aventure de l'entrepreneuriat indépendant, mais il a compris que pour assurer ses vieux jours, son avenir était dans cela même qu'il dénonçait : les commandes publiques auprès d'entreprises privées.
Il n'en reste pas moins que notre peur (du déclin civilisationnel, du chaos climatique et politique!), notre passivité, notre enfermement cynique dans le confort et l'acceptation des "à côtés" désagréables (pollution, impérialisme), nous feront probablement accepter les mensonges outranciers de la propagande nucléaire. C'est ça, ou changer de mode de vie et de société.
"La vie a changé grâce au parc de machines et à l'énergie qui permet de s'en servir. Tu comprends que considérer que ça représente 3% des dépenses mondiales est une illusion. C'est au centre de 100 % nos vies."
(écrit le 17 mai 2023)