Vous n’auriez pas un peu d’ÉNERGIE à me donner ?...

Hé ! Les amoureux de Littérature, je vais vous dire un truc : la BD, ce n’est pas toujours pour les nazes, ça peut aussi être "du lourd", et avec humour, en plus !

Pour celle-ci, ils s’y sont mis à deux, mais pas n’importe qui…


Tout d’abord, Christophe Blain, auteur de bande dessinée, né près de Paris (Argenteuil ou Gennevilliers, faut se mettre d’accord) en 1970. Il s’est formé à l'École municipale supérieure des arts et techniques (EMSAT) de Paris puis à l'École supérieure des beaux-arts de Cherbourg-Octeville. Il s’est fait connaître avec ses séries : Hiram Lowatt et Placido, Donjon Potron-Minet, Isaac le pirate, Socrate le demi-chien, etc. Avec ses nombreuses illustrations ou ses one-shots (publications en un seul volume) dont Le monde sans fin.

On ne compte plus ses distinctions qui vont du Prix Jeunesse Gabier du Salon du Livre Maritime de Concarneau en 1994 pour Carnet d'un matelot, au prix Diagonale de la meilleure série pour Gus en 2017, en passant par l’Alph-Art en 2002 et le Fauve d'or en 2013, qui récompensent un meilleur album au festival d'Angoulême.

Et pour couronner le tout, il reçoit en 2016 la décoration de Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres.

En 2019 il contacte Jean-Marc Jancovici pour lui proposer un projet qui deviendra l'album Le Monde sans fin sur les enjeux climatiques et l'addiction des humains aux énergies, dont le pétrole.


Jean-Marc Jancovici est un « modeste » ingénieur, enseignant et conférencier français. Il est né à Paris en 1962.

Accrochez-vous : il est ingénieur de l'École polytechnique, diplômé de l'École nationale supérieure des télécommunications, il est le créateur du Bilan carbone qu'il a développé au sein de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Il a cofondé en 2007 avec Alain Grandjean Carbone 4, un cabinet de conseil qui vend des bilans carbone aux entreprises, ainsi que l'association The Shift Project (qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone) en 2010. Depuis 2008, il est enseignant à l’École nationale supérieure des mines de Paris. Il est connu pour ses conférences de sensibilisation et de vulgarisation sur les thèmes du réchauffement climatique et de l'énergie, il bénéficie d'une notoriété croissante à partir des années 2010, au point d'être parfois qualifié de « gourou » et qu'il « fait le buzz ». Depuis 2018, il est membre du Haut Conseil pour le climat auprès du Premier ministre. Quant à sa bande dessinée Le Monde sans fin, publiée en novembre 2021, c’est un réel succès de librairie avec plus de 250 000 exemplaires vendus à la mi-mars 2022…


Tout d’abord, un peu partout, la BD est référencée sous le titre de « Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique ». J’ai eu beau chercher partout, tourner les pages précautionneusement, je n’ai pas trouvé trace du sous-titre, du moins sur l’édition en ma possession (Dépôt légal : octobre 2021 ; achevé d’imprimé janvier 2022).


Ils se sont mis à deux, donc, l’un dit ce qu’il a à dire, l’autre le met en forme, pour le rendre digeste, voire rigolo, sous forme de bande dessinée en mettant en scène nos deux personnages. Évidemment, l’un joue le candide et l’autre le professeur… Et de quoi nous entretient-on ? D’un sujet des plus sérieux : « Le gaz à effet de serre et ses conséquences sur LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ».

Et pour commencer Jean-Marc, le Professeur, nous introduit dans l’intimité de cette chose étrange dont on ne peut plus se passer et dont on est de plus en plus affamé « L’ÉNERGIE » : Qu’est-ce que l’énergie ? C’est un flux physique : « L’énergie, c’est ce qui quantifie les changements d’état d’un système… »

Sans nous en rendre compte, nous en sommes devenus complètement dépendants, et ce, d’autant plus que jusqu’à présent elle était abondante et qu’il nous suffisait d’appuyer sur un bouton ou de remplir un réservoir pour pouvoir profiter de ses bienfaits. Tant et si bien qu’aujourd’hui, en moyenne un terrien en consomme environ 22 000 kWh par an ! C’est-à-dire, comme si chaque terrien avait pratiquement 200 esclaves qui travaillaient pour lui en permanence !... Ces 200 esclaves, c’est tout le parc de machines et de véhicules qui ronronnent au service de chaque individu.

Mais 200, c’est une moyenne, très inégalement répartie (Island : 2250 ; Canada : 1100 ; USA : 800 ; France : 600 ; Grande-Bretagne : 400 ; Portugal : 300 ; Égypte : 100 ; Inde : 50) et rien qu’en faisant 15 000 km dans votre voiture dans une année, ça correspond au travail de 82 esclaves chaque jour, sur l’année ! Et n’oublions pas que nous approchons les 8 milliards de terriens !

La dépense énergétique humaine représente donc l’équivalent du travail de quelque 1600 milliards d’individus !... Exagérément colossal ! Pas étonnant que les approvisionnements énergétiques mondiales, qui semblaient inépuisables au début du XX° siècle soient remis en cause aujourd’hui. Grosso modo, ils sont constitués pour un quart de charbon, un quart de pétrole, un quart de gaz, le quart restant étant constitué de l’hydraulique, du nucléaire, de la biomasse, de l’éolien, du solaire et autres. En gros, les trois-quarts des sources d’énergies disponibles sont des énergies fossiles qui restituent, sous forme de dioxyde de carbone, le carbone fixé il y a quelques millions d’années, pour former un excellent gaz à effet de serre qui participe au réchauffement climatique.

Moralité : entre l’épuisement de l’approvisionnement énergétique et l’échauffement climatique qui va provoquer de plus en plus de grandes catastrophes naturelles : on va dans le mur !

Alors que propose notre maître à penser ?

Après avoir montré que l’éolien et le solaire sont peu intéressants parce que non pilotables et intermittents, et estimer qu’ils ne sont pas le moyen le moins onéreux de produire une énergie décarbonée : à investissement égal, la décarbonation serait, selon lui, meilleure avec les pompes à chaleur, les poêles à bois et le biogaz. Que l’hydraulique perturbe les écosystèmes fluviaux, etc. IL affirme qu’il n’y a que le nucléaire qui a ses faveurs, c’est propre et efficace. Il défend sa position en soulignant que le nucléaire émet peu de gaz à effet de serre, produit à la demande, occupe une surface de territoire réduite pour fabriquer un maximum d’énergie. En plus son « EROEI » (50) est plutôt bon !

Qu’est-ce que c’est que ça, le EROEI ? Oh, vous ne connaissez pas ? C’est l’« Energy Returned on Energy Invested », une sorte de retour sur investissements. C’est-à-dire que 1 kWh investi dans une centrale nucléaire va permettre d’obtenir 50 kWh. C’est le taux pour l’hydroélectricité, alors qu’on n’est plus qu’à 10 pour l’éolien et 4 pour le gaz de schiste.

Donc notre ami Jean-Marc prône l’électricité, la voiture électrique et… le vélo électrique (pour les petits trajets, quand-même). Pour les grandes distances, ce sera le train (électrique, bien-sûr). Il veut réduire au maximum les voyages en avion et prêche la décroissance.

Pour ce faire il appelle à l’aide un autre camarade polytechnicien, Sébastien Bolher, auteur des livres Le bug humain et Où est le sens ? Il va utiliser ses arguments pour appuyer les siens. J’en profite pour faire de la PUB et vous renvoyer vers mes critiques :

https://www.senscritique.com/livre/le_bug_humain/critique/214496100

https://www.senscritique.com/livre/Ou_est_le_sens/critique/247031113

Curieusement il ne fait aucun cas de l’ouvrage d’Aurélien Barrau, Le Plus Grand Défi de l'histoire de l'humanité, il est vrai qu’Aurélien n’est pas polytechnicien mais astrophysicien spécialisé dans la physique des astroparticules, des trous noirs et en cosmologie.

https://www.senscritique.com/livre/Le_Plus_Grand_Defi_de_l_histoire_de_l_humanite/critique/194990835


J’ai été relativement surpris de ses prises de positions franchement marquées et déterminées en faveur du nucléaire (même si personnellement je partage un grand nombre de ses idées). Habituellement les auteurs sont plus nuancés, voire plus prudents.

Aussi, je ne suis pas étonné des réactions d’agacement où carrément négatives lues ici ou là.

Ainsi le journaliste et écologiste Hervé Kempf affirme qu'il s'agit d'« une vision du monde imprégnée d’un mépris pour les gens et de l’aspiration à un gouvernement fort des experts [qui] repose sur une théorie si lacunaire de la démocratie qu’elle est mensongère », et qu’il « rêve d’un régime décroissant et nucléaire qui serait structuré par un ordre autoritaire, un capitalisme familial qui penserait le temps long, une élite de polytechniciens supposée rationnelle et désintéressée. » Toujours selon Hervé Kempf « Jancovici néglige des aspects cruciaux, comme les déchets radioactifs […] mais aussi les conséquences des accidents nucléaires ». Et en effet, si ces points sont vaguement abordés, ils sont négligemment balayés d’un revers par une sortie du genre « C’est peut-être arrivé ailleurs, mais ça n’arrivera pas chez-nous ! ... »

De même, rien à signaler côté EPR…

En conclusion, le portrait de Jean-Marc Jancovici qui transparait sous le crayon de Christophe Blain est des plus complaisant, on sent un homme intelligent, dynamique et déterminé. Ses propos sont clairs et convaincants et tout à fait dans la droite ligne d’un Aurélien Barrau ou d’un Sébastien Bolher. Mais son attitude un peu trop dirigiste et sûr de lui me mettent mal à l’aise. J’ai dans ma famille un polytechnicien, tellement sûr de lui, autoritaire et intolérant qu’il en devient parfois grotesque et extravagant au point de perdre tout sens commun. Il m’a semblé le reconnaître, parfois, au cours de ma lecture…


Philou33
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le 10 mai 2022

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