Ce tome constitue un hors-série dérivé la série Le petit théâtre des opérations, du même scénariste. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Julien Hervieux pour les scénarios et par Prieur & Malgras pour les dessins et les couleurs. Ce tome se compose de huit histoires comportant de quatre à sept pages, chacune accompagnée d’une page de texte placée à la fin détaillant un aspect du récit ou la biographie du personnage évoqué, ainsi que de cinq anecdotes en une page (l’invention de la différenciation entre chaussure gauche et chaussure droite, l’empereur Napoléon attaqué par des lapins à la chasse, l’origine de l’expression Saoul comme des Polonais, le bon mot d’un amputé d’une jambe dans un hôpital de campagne, l’application à la lettre d’une consigne de Napoléon Bonaparte par le grenadier Jean-Baptiste Coluche). Cet album compte quarante-quatre pages de bande dessinée.


Lasalle, sept pages et une page de texte. À Vicence, en Italie, en 1796, un officier français, suivi par deux soldats, avance en toute discrétion dans les rues, se cachant pour ne pas être repéré par une patrouille. Un des soldats demande au capitaine Antoine Charles Louis de Lasalle, maintenant qu’ils se sont faufilés au cœur des lignes ennemies, pour quoi ils sont là. Reconnaissance ? Sabotage ? Le capitaine répond que lui est ici parce qu’il connaît une jolie comtesse qui attend sa visite, et qu’il pensait que c’était clair pour tout le monde. Le lendemain matin, à son retour au camp, il est accueilli par Bonaparte lui-même qui lui annonce qu’il va le dégrader pour avoir ainsi quitté son poste. Lasalle lui présente des documents sur les positions autrichiennes : Napoléon le nomme chef d’escadron. – L’armée mal chaussée : Napoléon avait l’habitude de dire qu’il gagne ses batailles avec les jambes de ses soldats, car c’est la vitesse des armées qui permet de surprendre l’ennemi. Mais à l’époque, on n’a pas encore inventé le concept de pied droit et pied gauche pour les chaussures.


Marie-Thérèse Figueur, madame sans-gêne, cinq pages et une page de texte. En France en 1793, un paysan lit les nouvelles à sa compagne : les Républicains ont attaqué les Tuileries, il y a eu beaucoup de morts parmi les gardes suisses. Marie-Thérèse Figueur a entendu et elle décide de s’engager dans l’artillerie du côté du roi. Hélas pour elle, les Républicains l’emportent. Ils lui proposent de les rejoindre, ou de pourrir en prison. Elle accepte de rejoindre leur armée, et elle s’illustre vite au sein de son nouveau régiment, entre autres, grâce à son franc-parler : on la surnomme Sans-gêne. Et elle ne recule jamais devant le feu. – L’attaque des lapins, une page : lors d’une chasse, Napoléon est attaqué par un groupe de lapins spécialement lâchés pour lui servir de cible. Une flotte à la mer, quatre pages et une de texte. Août 1807, l’amiral russe Dmitry Senyavin combat pour le tsar en Méditerranée. Il reçoit un courrier du tsar l’informant qu’il a signé le traité de Tilsit, et que maintenant les Français sont leurs alliés, et les Anglais leurs ennemis.


S’il est familier de la série mère Le petit théâtre des opérations , le lecteur sait à quoi s’attendre : des faits de guerre oubliés ou méconnus, porteur d’une forme certaine d’ironie, racontés avec un ton sarcastique, tout en étant respectueux, et peut-être quelques anachronismes en guise d’humour visuel. L’histoire de l’humanité étant riche en guerres plus ou moins longue, le scénariste n’a que l’embarras du choix. Il avait déjà réalisé un tome consacré aux combattantes : Toujours prêtes ! (2023), dessiné par Virginie Augustin. Il met ici à profit les guerres napoléoniennes, deux approches différentes existant, la première les faisant débuter en 1799, et la seconde en 1802. Elles s’intègrent dans les guerres de coalition. Dans les huit histoires principales, le scénariste fait commencer son premier récit en 1796, et passe rapidement en 1806 durant la campagne de Prusse. Puis il évoque la vie de Madame Sans-gêne avec une première scène en 1793 quand elle s’engage dans l’armée française, pour passer rapidement en 1802, s’attachant à nouveau à la vie militaire du personnage. Vient ensuite le traité de Tilsit qui met fin à la guerre de la Quatrième Coalition européenne contre la France, le siège de Dantzig en 1813, la bataille d’Eylau en 1807 contre les forces de l’Empire russe soutenu par le Royaume de la Prusse, la place des femmes dans l’armée Anglaise, la carrière de Daumesnil en tant que responsable du Fort de Vincennes à partir de 1814, et le rôle des soldats hollando-belges lors de la septième coalition.


Le scénariste applique exactement les mêmes caractéristiques que dans la série mère : décrire des hauts faits militaires, ou plutôt des actions d’éclat d’un individu, voire d’un groupe d’individus pour les troupes hollando-belges. Ces récits sont dépourvus de jugement de valeur sur la guerre en elle-même, sur le principe de tuer ou massacrer des ennemis désignés comme tels par des gouvernements ou des chefs militaires, par des traités semblant arriver de nulle part (comme celui de Tilsit pour Dmitry Senyavin). L’objectif du scénariste n’est pas de glorifier des faits de guerre : il s’attache à rétablir la bravoure, le courage, l’intelligence, l’opiniâtreté, et parfois la chance, de certains individus ayant accompli des actes littéralement extraordinaires, c’est-à-dire sortant de l’ordinaire. Ainsi Antoine Charles Louis de Lasalle (1775-1809) se montre aussi bien téméraire, que expert en arts de la guerre, et attaché à l’honneur, sans pour autant passer sous silence la réalité de son mode de vie de grand amateur de femmes et fêtard invétéré. Marie-Thérèse Figueur (1774-1861) cogne les ennemis comme pas deux et charge sans coup férir, avec un langage peu châtié, prenant le lecteur par surprise quand elle accepte la vie maritale avec son amour de jeunesse. L’auteur se fait fort de rétablir qu’elle est l’originale Madame Sans-Gêne, sobriquet que Victorien Sardou et Émile Moreau ont récupéré et accolé à une autre femme, Catherine Hubscher, l’épouse du maréchal Lefebvre pour leur pièce du même nom. L’amiral russe Dmitry Senyavin (1763-1831) force l’admiration par son refus de participer aux combats contre ses précédents alliés. Ce n’est qu’en consultant la page de texte correspondante que le lecteur apprend qu’il fut l’un des héros de la flotte russe pour ses hauts faits précédents. Laurent Augustin Pelletier de Chambure (1789-1832) est dépeint comme un stratège hors pair, audacieux et malin, tout en se battant pour une cause très personnelle, à savoir la qualité de son sommeil. Le général Pierre Yriex Daumesnil (1776-1832) impressionne par superbe et sa détermination inflexible à rester maître du fort de Vincennes en toutes circonstances, tout autant que par sa combativité alors qu’il a déjà perdu une jambe à la guerre.


Le ton humoristique de la narration n’enlève rien à l’exigence consubstantielle à toute série historique : la qualité de la reconstitution et de la plausibilité demande des recherches conséquentes pour ne pas commettre de faux pas. Les artistes ont dû consulter les ouvrages nécessaires pour reproduire les détails de chaque uniforme militaire des différentes armées en lice, que ce soit pour les simples soldats, mais aussi pour les différents gradés avec leurs décorations. Il en va de même pour les armes blanches et les armes à feu, les canons, et bien sûr les harnachements des destriers. Le scénariste ne leur épargne pas non plus quelques cases de bataille rangée, avec pour une des dizaines de militaires, ou encore les tentes des camps. Le lecteur se retrouve vite impressionné par la clarté de chaque situation mise en scène, dans toute leur diversité : charge de la cavalerie, siège d’une citadelle, discussion autour du bivouac, bataille navale, file interminable de fantassins en déplacement à travers la campagne, repli stratégique, etc. La narration visuelle participe au ton ironique, des fois sarcastique, souvent moqueur avec une pointe de dérision, par une exagération des mimiques et des postures à des fins comiques. Elle intègre de temps à autre un élément incongru : Lasalle apparaissant en haut d’une gorge et les soldats s’exclamant Gandalf, des nuages avec éclair au-dessus d’une carte de géographie, Chambure dormant avec des peluches, un cheval (Lisette) décapitant un soldat d’un grand coup de dents, Daumesnil paradant sous une pluie de confettis, etc.


D’un côté, le lecteur sourit de bonne grâce à ces récits racontés avec verve et humour. D’un autre côté, il finit par s’interroger sur la réalité historique, ou plutôt sur un juste milieu entre la version qu’il vient de découvrir et la version officielle. Par exemple, le texte sur l’amiral russe Dmitry Senyavin montre qu’il était un vrai militaire avec une carrière remarquable, et pas simplement un amiral faisant sa mauvaise tête, un petit tour par une encyclopédie permet de confirmer que tous les faits relatés sont vrais. La motivation de Laurent Chambure ne se résume pas en fait à la qualité de son sommeil nocturne, mais relève de coups de maître derrière les lignes ennemies bien préparés, plutôt que d’une réaction épidermique. Le lecteur peut donc ainsi, s’il le souhaite, compléter sa lecture par des informations plus académiques pour en avoir le cœur net. Dans le même temps, il accorde une vraie confiance au scénariste en découvrant la dernière histoire qui rétablit la réalité de l’engagement des troupes hollando-belges lors de la bataille de Waterloo. Il souligne en particulier que l’histoire est écrite par les vainqueurs, et que le récit qu’ils en font doit être questionné avec ce principe en tête. En prenant un peu de recul, le lecteur voit bien également que le sort de ces soldats dépend entièrement des décisions des hauts gradés qui ne sont pas fondées que sur des éléments rationnels.


Un tome de plus dans cette série ? S’il a déjà lu les autres tomes, le lecteur n’hésite pas une seule seconde : l’occasion est trop belle de retrouver la verve de Julien Hervieux, de découvrir ou de retrouver des personnages célèbres, d’en apprendre plus sur certains, de se retrouver entre sourire et admiration devant l’audace et la confiance en soi de ces individus. La narration visuelle appartient au registre descriptif et réaliste avec une solide dose de recherches, et des touches humoristiques en phase parfaite avec la narration. Le nouveau venu peut être surpris par l’absence de position morale sur la guerre quelle qu’en soient les circonstances, tout en se rendant compte que les récits n’escamotent pas les morts et les blessés.

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le 19 oct. 2024

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