Comme quoi, dans la vie, parfois, on obtient beaucoup avec un simple S’il te plaît.

Ce tome fait suite à Le Petit Théâtre des opérations - tome 03: Faits d'armes impensables mais bien réels… (2022) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais ce serait dommage de s’en priver. La première édition date de 2024. Cette bande dessinée a été réalisée par Monsieur le Chien pour les dessins, Julien Hervieux (alias l'Odieux C.) pour le scénario, et des couleurs réalisées par Albertine Ralenti. L'album prend la forme d'une anthologie, regroupant huit histoires indépendantes, comprenant entre cinq et sept pages, chacune consacrée à un individu ou un groupe d'individus différent. Chaque chapitre comprend une page supplémentaire avec deux photographies d'époque, et un court texte complétant la réalité historique de ce qui a été raconté. Intercalés entre deux histoires se trouvent cinq intermèdes d'une page en bande dessinée consacrée à une anecdote militaire. Cette série a donné lieu à deux séries dérivées écrites par le même scénariste : Toujours prêtes ! (2023), avec Virginie Augustin, Guerres napoléoniennes (2024) avec Prieur & Malgras.


Stubby : À New Haven aux États-Unis, en 1917, autour d’une caserne, des soldats courent derrière leur sergent. L’un d’eux remarque un magnifique petit chien caché derrière une poubelle. Il lui demande comment il s’appelle, et le chien répond que son nom est Stubby chien de guerre et qu’il aimerait pouvoir faire ses besoins en paix. James Robert Conroy, du 102e régiment d’infanterie américain, décide d’adopter ce chien des rues et de le ramener à la caserne. Après une période de réticence, le chien est embarqué avec les troupes sur un navire pour aller se battre en France. Un officier fait le constat que Stubby sait saluer un officier, il ne parle pas de ses missions et il nettoie les gogues à l’aide de sa langue avec enthousiasme. Techniquement, ça fait de lui la meilleure recrue que l’U.S. Army ait jamais vue. – Avez-vous déjà vu un char volant ? Le scénariste raconte au dessinateur le projet russe Antonov A-40, un char léger T-60 auquel on attache des ailes géantes.


Von Lettow Vorbeck, faut pas venir le chercher : en 1914, dans la Deutsch Ostafrika, une estafette amène un message au colonne de la base : la guerre vient d’éclater ! Mais les ordres de Berlin sont de ne rien faire : les Anglais ont promis de ne pas attaquer les colonies. Le colonel comprend immédiatement que l’ennemi ne tiendra pas sa promesse et il se prépare à leur débarquement. – Casabianca, le sous-marin corsé : le 27 novembre 1942, les Allemands tentent de s’emparer de la flotte française à Toulon. Les marins préfèrent détruire leurs navires plutôt que de les abandonner à l’ennemi. À l’exception du commandant Jean L’Herminier qui parvient à prendre le large avec le sous-marin Casabianca. L’équipage gagne ainsi Alger où il reprend la guerre aux côtés des alliés. Première mission : débarquer des agents et des armes en Corse occupée.


Tome après tome, les auteurs prouvent qu’il est possible d’évoquer les guerres avec un ton à la fois persifleur et très respectueux, admiratif de hauts faits de guerre et dépourvu de toute forme de glorification de la guerre. Ils montrent l’horreur des tueries : les tranchés de la guerre de 14-18, les morts tués sur le champ de bataille, la réquisition des hommes valides dans les pays d’Afrique, les risques encourus lors des missions (par exemple le gouvernail plié d’un sous-marin), les morts par accident (des soldats allemands ne sachant pas se servir d’une grenade), le sort des populations dont la région devient une zone d’affrontement, la témérité irresponsable (et parfois payante) d’hommes voulant impérativement participer aux combats, la force des préjugés et des discriminations (le cas d’une femme handicapée). Aucune exaltation patriotique ou aucune admiration de l’agressivité masculine : ces actions de valeur sont présentées dans leur contexte de guerre, l’artiste effectuant un travail solide de reconstitution historique en arrière-plan, chaque individu s’adaptant à ces conflits, en fonction de leur origine sociale, de leur histoire personnelle et des circonstances de leur naissance. Les auteurs présentent ainsi un chien (Stubby) décoré par le général Pershing, le général Paul von Lettow-Vorneck (1870-1964) tenant tête aux Britanniques, Jean L’Herminier (1902-1953) commandant de sous-marin, Eddie Chapman (1914-1997) espion britannique étant engagé comme espion par les Allemands, Roger Vandenberghe (1927-1952) à la tête des Tigres noirs en Indochine, Władysław Albert Anders (1892-1970) constituant une armée se déplaçant avec des civils, Robert Lee Scott junior (1908-2006) pilote de chasse, et Virginia Hall (1906-1982) espionne américaine en France avec une jambe de bois.


Comme dans les tomes précédents, les auteurs se mettent en scène dans les intermèdes, Julien Hervieux en grand sachant hautain et méprisant vis-à-vis de son collaborateur, Monsieur le Chien en jeune homme curieux et avide d’apprendre auprès de cet homme si savant qui le maltraite. Cela donne le ton de la dérision. Ces séquences d’une page répondent chacune à une question. Avez-vous déjà vu un char volant ? (un essai de char volant en Union soviétique pendant la seconde guerre mondiale) Et si le navire c’était l’iceberg ? (un projet de navire fait de glace et de bois au Royaume Uni également pendant la seconde guerre mondiale, Winston Churchill estimant que c’est complètement absurde, donc anglais) Les sous-marins c’est bien ? (les Anglais doutant de la pertinence de développer des sous-marins en 1914, jusqu’à temps que leurs navires soient coulés par un U9) Une étrave, ça sert à la marave ? (un navire français, l’Aconit, se servant de son étrave pour couler des sous-marins en 1943) Peut-on être fusillé et en revenir ? (le cas de François Waterlot fusillé en 1914) Chaque séquence est racontée avec amusement et une pointe de moquerie (la remarque de Churchill par exemple, et des dessins en apparence simple, avec une qualité de synthèse extraordinaire.


Avec ces huit chapitres, les auteurs évoquent plusieurs guerres : deux fois la première guerre mondiale, cinq fois la seconde, et une fois la guerre d’Indochine. Les caractéristiques des dessins apparaissent toujours aussi simplistes : un trait de contour très fin détourant chaque personnage, chaque élément de décor, chaque vêtement, chaque paysage de manière simpliste. Le lecteur peut se dire que les descriptions sont simplifiées jusqu’à en devenir superficielles ; toutefois lorsqu’il accorde un peu de temps à ce qu’il vient de voir, il se rend compte de la densité et de la précision des informations visuelles. Par exemple, l’investissement et l’attention pour l’exactitude des uniformes des différentes armées, quel que soit le pays ou l’époque, les armes employées, les lieux connus comme Tanga en Tanzanie en 1914, le siège du gouvernement à Alger en 1942, le 10 Downing Street à Londres, le toit du Kremlin, etc. Le même soin est apporté à la représentation des engins militaires de toute nature, de l’avion au sous-marin. L’artiste parvient à marier le sérieux de la reconstitution, avec des éléments de comédie. Les personnages ont tendance à faire montre d’émotions très intenses ou surjouées, entre la colère et l’indignation, la moquerie, etc. Le lecteur attentif retrouve également la facétie du dessinateur qui s’amuse à intégrer discrètement des éléments incongrus, généralement anachroniques, comme le monstre du Loch Ness, le Marsupilami, un livre intitulé La Tanzanie pour les nuls, une carte de Uno, le symbole de Batman sur le manteau d’un officier, ou encore un avion de chasse repeint avec les motifs du costume de Spider-Man.


Le scénariste effectue un devoir de mémoire pour des individus qui ont combattu avec courage lors de guerre. Il ne prend parti ni pour une nation, ni contre. Il a pris le parti d’évoquer chaque haut fait sous l’angle de son caractère singulier et improbable : un chien combattant au même titre qu’un soldat, un général avec une compréhension parfaite de la situation et une puissance stratégique qui défait l’armée ennemie supérieure en nombre à plusieurs reprises, un commandant de sous-marin sachant concevoir des plans d’intervention adaptés au mode de fonctionnement ennemi, un truand engagé comme espion par les Allemands et allant en informer le MI5, un adjudant-chef adoptant les tactiques de son ennemi, un général refusant d’abandonner des civils derrière lui, un pilote s’arrogeant un avion au culot, une femme handicapée renversant ce qui est perçu comme des faiblesses pour en faire des atouts. Certains combattants réalisent bien des prouesses guerrières impressionnantes (Roger Vandenberghe, un grand costaud intrépide par exemple), pour autant c’est souvent l’intelligence et la capacité d’adaptation qui sont mises en avant et en valeur. Cela donne lieu à des moments très savoureux quand la bêtise des ennemis éclate au grand jour, par exemple deux sentinelles allemandes sur une plage de Corse confondent un sous-marin avec un gros récif qu’ils n’auraient pas remarqué avant… à deux reprises.


Quatrième tome de la série, et toujours aussi savoureux, aussi bien dans le choix des personnes et de leurs hauts faits, que dans l’humour de la narration. Sous des dehors pouvant faire croire à une réalisation par-dessus la jambe, le lecteur retrouve toute la rigueur dans la présentation des faits avec une page de texte complétant chaque chapitre, et il constate l’investissement du dessinateur pour respecter l’authenticité dans sa reconstitution historique. Le ton persifleur rehausse l’intelligence des combattants et la bêtise des ennemis, tout en tenant à l’écart toute forme d’idéalisation ou de louange de la guerre. Un devoir de mémoire réjouissant.

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le 4 août 2024

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