Ce tome est le deuxième d’une série de trois, ayant donné lieu à la série dérivée Toujours prêtes ! (2023), par Virginie Augustin & Julien Hervieux. Cette bande dessinée a été réalisée par Monsieur le Chien pour les dessins, Julien Hervieux (alias l’Odieux C.) pour le scénario, et des couleurs réalisées par Olivier Trocklé. Il fait suite à Le Petit Théâtre des opérations - tome 01: Faits d'armes impensables mais bien réels… (2021) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant. La parution initiale date de 2022. L’album prend la forme d’une anthologie, regroupant huit histoires indépendantes, comprenant entre quatre et six pages, chacune consacrée à un individu ou un groupe d’individus différent. Chaque chapitre comprend une page supplémentaire avec deux photographies d’époque, et un court texte complétant la réalité historique de ce qui a été raconté. Entre chaque histoire se trouve un intermède d’une page en bande dessinée consacrée répondant à une question de culture militaire. Par exemple : Pourquoi monte-t-on dans les avions par la gauche ? Qui est Mariya Oktyabrskkaya, la veuve vengeresse ?
Stonne et Ardennes, cinq pages : village de Stonne dans les Ardennes, le seize mai 1940. Les armées allemandes et françaises sont au contact. Le village n’arrête pas de changer de main. Le capitaine sort de la tente d’état-major et indique à ses soldats que c’est à eux de jouer. Il leur ordonne de rejoindre leur B1 bis, c’est-à-dire un char équipé d’une mitrailleuse, d’une antenne pour recevoir RTL, d’un canon de 47mm, d’un canon de 75mm, avec le nom du char pour faire peur à l’ennemi (Corinne Masiero), soit trente-et-une tonnes et demi d’amour. Treize chars allemands attendent les Français dans la rue principale. Mais ils les attendent en file indienne, ce qui les empêche de manœuvrer. Le char français remonte la colonne et c’est un véritable tir au pigeon. Mon char, ma bataille, une page de texte : La bataille de Stonne aura été particulièrement marquante durant la campagne de France de 1940. Elle est pourtant quasiment oubliée ! Alors que celle qui fut parfois qualifiée de Verdun de 1940, tant les combats y furent rudes, a de quoi faire parler d’elle : du 15 au 25 mai 1940, le village de Stonne va changer de main… 17 fois.
Pourquoi monte-t-on dans les avions par la gauche ? Julien Hervieux bien calé dans un profond fauteuil explique à monsieur Chien assis sur une chaise inconfortable pour enfant que La première guerre mondiale n’est pas faite pour la cavalerie. Aussi les cavaliers sont envoyés en nombre dans une nouvelle arme : l’aviation. Et comme les cavaliers portent le sabre à gauche, pour grimper sur un cheval, ils le font par la gauche. Ils ont donc gardé le même principe pour grimper dans leur avion. Douglas Bader, quatre pages : en 1939, l’Angleterre a besoin de tous ses pilotes. Douglas Bader, pilote sans jambes, parvient à convaincre la hiérarchie de lui confier un avion de chasse.
S’il a lu le premier tome (et il aurait tort de ne pas le faire), le lecteur sait à quoi s’attendre : des histoires courtes de hauts faits pendant la première ou la seconde guerre mondiale, suivis par une page de texte venant apportant des éléments d’information supplémentaire, et une narration visuelle entre faits et parodie comique. Il relève tout de suite que le scénariste a opté pour son vrai nom pour ce deuxième tome ; Julien Hervieux, plutôt que pour son surnom qui limite fortement la possibilité de le citer explicitement du fait de sa nature grossière. Pour autant, il n’a rien perdu de son mordant, se montrant tout aussi sarcastique que le dessinateur dans sa narration. Pour le présent tome, il a opté pour quatre récits situés pendant la première guerre mondiale, et quatre pendant la seconde. Le lecteur découvre vraisemblablement des faits et des militaires dont il n’a jamais entendu parler, sauf s’il est déjà féru de l’histoire de ces deux conflits. Avec une exception, l’histoire consacrée à Mata Hari, Margaretha Geertruida Zelle (surnommée Grietje Zelle, 1876-1917), fusillée à Vincennes. En fonction de ce qu’il sait de cette espionne, il peut être très surpris de la version des faits qu’en donne les auteurs, ou conforté dans son jugement sur leur façon d’insuffler du caractère et de la personnalité à chaque combattant, le dessinateur n’étant pas en reste pour donner sa propre interprétation. Pour autant, la page de texte exposant des faits historiques vient conforter cette interprétation.
Le scénariste a choisi une variété de combattants : un char français face à des chars allemands, un pilote d’avion sans jambe, un fermier finlandais résistant à l’envahisseur soviétique, le rôle de la cavalerie en 14/18, une espionne, le sens du devoir chez un tirailleur dans une tourelle, le combat à coups de poing pendant la première guerre mondiale, et le sort d’un soldat afro-américain engagé dans la légion étrangère française. Comme dans le premier tome, il se tient à l’écart de toute fierté nationale, ou toute glorification des faits d’armes. Toutefois, il laisse le lecteur libre d’apprécier l’héroïsme des combattants, ou leur inconscience, ou leur dévouement, ou leur acharnement. Il brouille les cartes en adoptant un ton moqueur, ou au contraire il désacralise ces individus au comportement sortant de l’ordinaire, neutralisant ainsi les a priori du lecteur qui peut les considérer sans avoir le sentiment d’être obligé de les admirer. Que penser en définitive de Douglas Bader qui parvient à convaincre ses officiers de le laisser piloter alors qu’il n’a pas de jambes et qui ne s’avoue jamais vaincu, tentant évasion après évasion une fois capturé par l’ennemi ? D’un côté, la narration se garde bien de montrer les ennemis qu’il abat ; de l’autre côté, elle adopte un ton jovial et plusieurs fois irrévérencieux pour évoquer le courage et les prouesses de ce militaire.
Dans la troisième histoire consacrée au fermier finlandais, le scénariste se monstre tout aussi caustique et moqueur. Simo Hähyä se met en route pour lutter contre l’union soviétique parce que des chars russes sont passés sur son champ de navets. Dans la deuxième page, le texte d’un court cartouche demande : Mais quel est le secret de Simo Häyhä ? Dans la case suivante, un officier dans une salle, débout avec ses mains posées à plat sur la table répond : Eh bien, c’est très simple, avec une pancarte au-dessus de lui portant l’inscription Les tutos de Simo, aussi anachronique qu’ironique. Dans le texte qui suit, il s’en donne à cœur joie : Car le Finlandais est taquin. En effet, ne pouvant manger l’ogre soviétique en une fois avec leur petite armée, Ils utilisent une stratégie locale : celle du bûcheron. Si l’arbre est trop gros, fais-en des tronçons. […] Mais les Finlandais poussent le folklore plus loin. Ainsi, pour se déplacer dans la neige, ils sortent les skis. Certes, comme d’autres armées. Mais toutes les armées ne font pas tracter leurs skieurs pas des rennes pour aller plus vite encore ! […] Oui, une autoroute de mecs tirés par des rennes. Ainsi à chaque page de texte de faits après l’histoire, le lecteur se régale de cette dérision maniée avec humour.
Comme dans le premier tome, le dessinateur a savamment dosé la précision de sa reconstitution historique. Il reproduit l’apparence des uniformes, des armes, des véhicules de guerre, avec un niveau de détails suffisant pour que ces représentations ne soient pas génériques, tout en restant très loin d’un niveau photographique. Il manie l’humour visuel de différentes façons, la plus prégnante et la plus régulière se lisant sur les expressions de visages des combattants, souvent exagérées pour un effet comique. Il lui arrive de glisser des détails anachroniques et saugrenus comme une figurine de Goldorak parmi des décombres dans la première histoire, ou une bouée canard (ou plutôt aigle) dans la sixième. Il joue également sur les postures et le langage corporel. Impossible de résister à Douglas Bader assis sur un banc dans un camp de prisonnier et agitant sa prothèse de jambe en direction de ses geôliers pour les remercier. Impossible également de résister aux piètres talents d’actrice de Mata Hari tentant d’extorquer des renseignements secrets à des officiers allemands ou des responsables britanniques.
Monsieur Chien sait donner à voir les nombreux environnements qui défilent au fur et à mesure des histoires : une rue ravagée de la ville de Stonne, des combats aériens, des soldats progressant difficilement dans un champ de neige, des officiers dans un état-major sentant l’effroi les gagner en comprenant l’étendue des pertes en soldats, des tranchées, un spectacle de lancer de couteaux dans un music-hall, des enterrements militaires, etc. Il peut encore plus se lâcher en termes de mise en scène et d’humour visuel dans les intermèdes en une page : déjà en montrant une relation de dominé pour son avatar entièrement soumis au comportement condescendant, voire méprisant, de l’odieux C. dans des endroits inattendus, avec un chien suant sang et eau en essayant de réfléchir, ou pigeon tout aussi paniqué, ou en parvenant à glisser une maquette d’un transport blindé tout-terrain (TB-TT) sorti tout droit de L’empire contre-attaque. Le lecteur sourit de bonne grâce à ces facéties qui participe également à cette forme de présentation décalée qui peut déconcerter au départ.
Un pilote de chasse sans jambe ? Pourquoi on monte dans les avions par leur côté gauche ? Quelle fut la réalité des renseignements dérobés par l’espionne Mata Hari ? Le lecteur tombe vite sous le charme de la verve amusante et improbable des auteurs, pour un sujet aussi grave que des faits de guerre. Loin de se formaliser de ce manque de respect vis-à-vis de morts patriotes, il constate que l’humour visuel et la dérision en mots lui permettent de prendre un salutaire recul, sans pour autant obérer ou neutraliser la singularité de ces faits de guerre.