Gonflant de lieux communs présentés initialement dans un cadre intimiste. C’est un fââble sociâââle voyez-vous, où narration et protagonistes vous assomment de leurs tristes certitudes. Un regard superficiel porté sur le monde, depuis le haut d’un appartement, vous instruit ainsi des choses de la philosophie perpétrée au doigt mouillé. Que j’aime quand une œuvre, délibérément hermétique pour troubler, se donne des airs au point de n’être plus que bouffie de vent.
La narration, verbeuse à en être baveuse, nous ensevelit sous ses banalités. C’est un de ces pamphlets moralisateurs qui, parce qu’il a honte de ce qu’il est – précisément parce qu’il sait ce qu’il vaut – se cache derrière une forme d’auto-dérision. « Je me prends au sérieux… mais pas trop, donc nul besoin, amis lecteurs, de soutenir à quelque instant que ce soit que je vous esbroufe sous de la moraline. » Tel est le message mal assuré qu’on me soutient et qui m’use les nerfs. Ça a un message à nous faire parvenir mais, manque de chance, l’œuvre n’a aucun propos à articuler. Alors, le long de son chapitre inaugural, la narration bredouille et marmonne quelques poncifs dont on devrait croire qu’ils ont une portée au seul prétexte que la mise en scène est nouvelle ; qu’elle s’abstient, elle, au moins, de céder aux clichés.
C’est vrai que, passant ainsi de protagoniste en protagoniste, la narration chemine avec grâce. Mais pour aller où ? Une mise en scène travaillée, quand elle ne recouvre pas un semblant de fond, ne sera jamais qu’une coquille creuse.
Inio Asano, je le réalise bien tard – il faut dire que son œuvre n’est pas non pas monolithique – est une sorte de naturaliste japonais. Il nous rapporte la bassesse humaine sans trop l’exagérer, même avec un soupçon de bienveillance diffuse. Les dialogues s’offrent à nous comme des distributeurs d’inanité en continu. Mais ça n’est pas grave, comprenez-vous, car ils sont réalistes. Ils sont ces mêmes mots qu’auraient pu prononcer ces personnages, résolument humains.
Et c’est là qu’on touche du doigt le naturalisme lorsque celui-ci s’assume pleinement : c’est chiant. Alors oui, c’est parfaitement conforme à la réalité, ce qui exige une habileté certaine dans l’écriture des personnages et du cadre dans lequel il évolue. C’est bien fait, y’a pas à redire là-dessus. Mais ça reste chiant. Car, pareils à des personnages réalistes que nous croiserions, l’œuvre ne raconte rien et parle pour ne rien dire. Merci, monsieur Asano, de me replonger dans les relations sociales banales que je connais en chair et en os pour ensuite les déguster sur papier. Miam. Excusez cependant si je ne me ressers pas une louche ; je m’en voudrais de vomir sur votre œuvre, ça lui apporterait des couleurs.
« Mais enfin, t’es jamais content. À longueur de critiques, tu nous bassines sur l’insipidité flagrante des personnages de mangas, Shônens, Seinen, Shôjos et Jôsei confondus, et là qu’il y en a des qui soient bien écrits comme qu’il faut, au point où toi-même tu l’admets, faut encore que tu râles ».
Pour commenter, ne vous permettez plus jamais de me tutoyer. Je me fous de savoir que vous soyez un artifice narratif écrit par moi-même dans ma critique, il y a des familiarités que je ne tolère pas. Ceci expédié, j’ajouterai que les personnages qu’on découvre dans le présent manga sont si réalistes qu’on ne veut déjà plus les voir.
Vous aimez, vous, les échanger, les banalités ? « Quel beau temps » vous dit-on lorsque le temps est beau. « Quel sale temps » vous fait-on judicieusement remarquer lorsqu’il s’avère moins plaisant, le temps. Et les « Quoi de neuf » ou autres intrusifs « Comment ça va », avec les histoires à n’en plus finir où on vous raconte ce qu’il s’est passé au dernier match, ça vous enchante, ça ? Imaginez un manga qui ait capté cet état d’esprit et l’ait retranscrit sur plusieurs chapitres ; vous le lisez ? Moi oui, mais uniquement parce que c’est sur la liste des suggestions de mes abonnés. Je les retiens. Je sais qui vous êtes, il me faudra pas beaucoup de temps pour savoir où vous habitez, et quand je vous y mettrai la main tout dessus, alors je vous dirai « Ça va ? Drôle de temps, hein ? Y’a plus de saisons de toute façon. Et le but de M’Bappé, magnifique, hein ?! ».
On suit des personnages inintéressants mais réels. Éternel insatisfait que je suis, j’aurais aimé à les savoir réels ET intéressants. Mais le naturalisme, ça, il fait pas toujours. Pour un bon chapitre chez Zola, y’a treize pages passées à te décrire une poignée de porte.
Ces personnages écrits scrupuleusement par un auteur attentif, on voudrait s’y intéresser… mais ils font tout pour nous en prévenir. Rien chez eux ne suscite l’empathie ou l’antipathie. Ils passent, et c’est tout.
Ça cause à tout va et à tout vent comme sur un script de film d’auteur. « Je suis enceinte » et autres menus drames à l’échelle bassement humaine sont censés nous interpeler. Et puis avec une conclusion douce-amère à chaque fin de chapitre pour donner le change parfois, mais jamais sans trop se mouiller. J’avais d’ailleurs pas déjà dit ça du dernier Asano qui m’était passé sous les yeux ?
Les jours se suivent et se ressemblent. Il en va de même pour les œuvres d’Inio Asano. Notez bien qu’il n’est pas obligé de déroger à une recette éditoriale qui lui plaît, mais si c’est pour ensuite se plaindre qu’il ne vend pas à moins de faire dans le semi-racoleur, il faudrait voir à pas pousser mémé dans les orties. Ou plutôt si. Qu’il la pousse, la mémé, dans les orties. Qu’il se passe quelque chose enfin, bon Dieu !
C’est un supplice de voir les pages et les dialogues défiler sans qu’un contenu un temps soit peu consistant ne vienne remplir notre contentement ne serait-ce qu’au centième. Et lorsque quelque chose se passe, ça jure tellement dans le cadre instauré que cela sort de nulle part pour y retourner. Un Japonais menace de se suicider à l’aide d’une arme de poing équipée d’un silencieux devant un enfant. Ça vous tombe dessus comme ça après qu’on en ait terminé de définir la rotondité de la poignée de porte. Où diable un employé de bureau se fournit une arme pareille au Japon ?
Oh et puis, c’était le père de sa copine en plus. Le hasard, comme ça, en fin de chapitre ça… ça vous désespère de ce que vous lisez. Lire un Asano, c’est s’infliger une œuvre mal écrite, mais avec talent et méthode. C’est pas un gougnafier, l’auteur, il l’a prouvé, il a ce qu’il faut pour aménager une scénographie en or. Seulement, ce talent, il ne le met jamais au profit d’une cause qui vaille la peine d’être lue.
La plupart du temps, il ne se passe rien. Et s’il se passe quelque chose, ça n’est jamais que pour rien. L’histoire d’Haruko et Tasuku est vraiment mal ficelée et trop mal imbriquée dans le récit pour qu’on y croit ; pour qu’on y souscrive. D’autant qu’à partir de cette histoire, les personnages apparaissent comme avoir été écrits par un enfant de cinq ans. Mention spéciale pour Houichi qui sera m’aura fait soupirer de dépit à m’en saloper les poumons.
Rien ne crie mieux « Je suis prétentieux et trop profond mais personne peut me comprendre » qu’une page blanche avec uniquement trois lignes de texte introspectives posées dessus. Et on y aura droit ici. De la part d’un grand auteur qui plus est. Le résultat, curieusement, s’avère être le même que s’il avait été commis par un jean-foutre. Comme quoi, fondamentalement, la foirade d’un prince vaut celle d’un manant.
Qui soutient que les œuvres d’Inio Asano, dans leur entièreté, tiennent du génie, le font parce qu’ils sont encore remués de leur lecture de Bonne Nuit Punpun. Mais très sincèrement, outre ce coup d’éclat époustouflant, cet auteur-ci aura toujours été à côté de la plaque, qui plus est avec un acharnement malsain à la besogne, ne commettant principalement que des histoires de courte durée et de courte vue, aussi plates qu’inintéressantes. Lisez-le, Le Quartier de la Lumière. Je viens vous voir un an après votre lecture et vous interroge sur ce dont ça parlait. J’ai le sentiment que vous allez avoir comme des trous de mémoire.
Ça n’est pas mauvais ; c’est inintéressant et parfois franchement présomptueux, à parler pour ne rien dire ; pour meubler les pages et finir le volume relié. Chaque nouvelle œuvre que je lis de lui, décidément, me confortera un peu plus du fait qu’il n’a été et ne sera jamais l’auteur d’un miracle et d’un seul uniquement. Je ne lui demande pas de mettre dans le mille les yeux fermés deux fois, mais s’il pouvait au moins viser la cible pour la toucher et, par ricochet, atteindre ses lecteurs, nous aurions tous beaucoup à y gagner je le crois.
Après, le Quartier de la Lumière marquaient ses débuts en tant qu'auteur. Les dessins ne sont pas encore aussi affinés qu’ils le seront par la suite, le récit est loin d’être aussi maîtrisé. On dira que c’était un coup d’essai. Pas un qui fut concluant, néanmoins.