En raison de son sale caractère, de ses provocations, de sa grande gueule et de son intempérance, Bonneval Pacha continue à se faire des ennemis, et, quand il tire trop sur la ficelle, celle-ci craque. A savoir : il passe à l'ennemi. Ne pouvant rentrer en grâce à la cour de France malgré des démarches répétées et plus ou moins efficaces de ses amis et de sa mère, il propose ses services de valeureux militaire à Eugène de Savoie et à l'Empereur d'Autriche, qui les agréent, ce qui lui permet de se battre... contre les Français, en particulier lors de la meurtrière bataille de Malplaquet (1709) (planche 23).

Louis XIV n'est pas flatté dans cet album : non seulement il apparaît comme un monarque jamais satisfait de conquêtes et de batailles meurtrières (planche 25), mais en plus il s'aliène, par son intransigeance, les services d'hommes de valeur comme Bonneval et Eugène de Savoie (qui, ayant été rejetés par le même monarque, n'ont aucun mal à s'entendre et à se comprendre (planche 11)...).

Dragueur, mais peu soucieux de convoler, Bonneval fait une cour indécente à une femme sous les yeux scandalisés d'Eugène de Savoie (planches 12 et 13). Et même la charmante Judith-Charlotte de Gontaut-Biron (planches 41, 44), qui devient officiellement sa femme, l'encombre beaucoup plus qu'elle ne lui plaît (planches 47 et 54).

Mais sa forte personnalité en fait constamment un soldat de valeur, qui se fait souvent blesser (planches 21-22, 38, 45). Sa culture lui permet de correspondre avec Fénelon (planche 24) et Leibniz (planches 28 à 33), et de se faire un ami du poète Jean-Baptiste Rousseau (planche 28).

La trame narrative (l'interview qu'accorde Bonneval Pacha vieillissant au freluquet Bauffremont (parfois orthographié Beauffremont) s'enrichit de divers incidents qui permettent de varier ces rappels : incidents avec un chien et un perroquet (planches 8-9), repas des deux interlocuteurs (planches 16-17), ivresse de Bonneval (planches 52-53). L'écriture du récit s'éloigne malgré tout des codes classiques de la BD en deux sens opposés :

1) développer excessivement des dialogues parce qu'on dispose du texte authentique de base, et cela ralentit le rythme de la narration (planche 35);

2) abréger des séquences mouvementées, telles que les batailles, parce que ce n'est pas là le projet des auteurs.

Le ton employé pour les bandeaux narratifs est de belle tenue littéraire, d'autant que beaucoup de ces textes sont carrément tirés de documents authentiques de ce début de XVIIIe siècle (vous savez bien, l'époque où la langue français était encore vivante et avait de la gueule !). Bel exemple planche 20.

Le dessin de Hugues Micol, bien qu'il expédie assez promptement les décors éloignés (simples esquisses pour les silhouettes, disparition des contours à la lisière entre deux nuances de couleurs voisines sur les murs, bariolage flou des revêtements muraux intérieurs), donne à vivre avec réalisme les costumes et les masques d'un Carnaval à Venise (planches 1 à 7); les motifs d'un rouge criard de la chambre de Bonneval restituent bien le maniérisme final du décor baroque-rococo; belle atmosphère rougeoyante d'un théâtre baroque où l'on joue "Andromaque" (planche 42).

Un travail soigné, soucieux de vérité historique, et sachant restituer l'esprit et les décors d'une époque.
khorsabad
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le 15 juin 2014

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