Auto-plagiat librement consenti
L’action étant conclue pour Bartholomée au Tome précédent, la série ne peut se poursuivre qu’en satisfaisant à deux exigences :
• conserver la plus grande part possible des informations et des événements narrés dans les épisodes précédents : c’est une série, il faut donc de la continuité !
• trouver un élément nouveau qui relance l’action dans une atmosphère comparable à celle qui émanait des trois volumes précédents (si la série se prolonge, c’est qu’elle a du succès, donc on ne change pas une recette qui se vend bien...).
Ceci posé, cet épisode ressemble comme un frère de lait au début du Tome 1 (des Vikings viennent massacrer les moines de l’Abbaye de Saint-Joseph-du-Havre : c’est presque du recopiage) : gros costauds sanguinaires en casques à cornes qui déchiquètent du bon moine à grands coups de hache, atmosphère illusoirement sécurisante des lueurs chaudes et des pénombres du monastère, et même retour du lecteur dans les latrines suspendues de l’édifice pour une nouvelle séance de masturbation. Tout cela était dans le Tome 1.
Dans ces conditions, on peut se demander comment Mitton se tire du piège de l’auto-plagiat. Le seul décalage perceptible par le lecteur dès la première planche, c’est que le monastère est intact (alors qu’on l’a vu détruit antérieurement), et l’action est datée de 915 (soit quatre ans après le traité de Saint-Clair-sur-Epte). Pour corser l’illusion, on ressort les chants religieux (au fait, Monsieur Mitton, planche 3, il faut écrire « Kyrie » et pas « Kirie », merci !), et on s’attend à voir Bartholomée... qui arrive ( !) alors que le lecteur le croit vautré dans le plumard de sa dulcinée indienne depuis quatre ans.
Enfin, l’illusion se dissipe ! La présence de Rollon, joliment couronné, indique que l’action est différente et que la chronologie n’est pas violentée. Et le Bartholomée qu’on nous offre n’est pas Bartholomée...
Car Mitton, en bon scénariste soucieux de ménager une suite éventuelle, avait laissé de côté deux personnages intéressants dont la destinée était restée obscure : le vrai Leif Eriksonn, prince Viking laissé pour mort, empoisonné dans l’abbaye ; et le « petit frère » chéri de Bartholomée, officiellement roi de Norvège à la place de Bartholomée... Eh bien, Mitton les récupère.
La petite escroquerie, c’est que Leif Eriksonn ressemble comme deux gouttes d’eau à Bartholomée, ce qui permet à Mitton de prolonger la surprise (car on n’avait jusqu’ici vu ce personnage que sous un masque).
Quant à l’intrigue, le lecteur découvrira que Leif devient l’enjeu politique entre deux camps qui ont des projets opposés à son sujet. Tout l’épisode décrit les tentatives d’enlèvement de Leif par ces gens-là, et 44 planches pour kidnapper un ado débile, ça fait longuet. Débile, parce que le poison ingéré n’est pas resté sans effet sur Leif.
A partir de là, Mitton allonge la sauce tant qu’il peut pour instiller le plus possible de corps à poil, de sexes gros et petits, de têtes coupées, de portes fracassées et de scènes-choc. On n’est pas dans un poème de Musset. L’une des protagonistes, Fridda, maîtresse d’un marteau de Thor qui fonctionne (il attire bien la foudre à volonté ! ça, c’est du bon matos !), est nue autant qu’on peut l’être, sauf une ceinture qui attire les regards vers le bas du corps, et l’inévitable casque à cornes. Sa vision attire les regards intéressés et salaces de tous les mecs présents, Vikings, moines, évêque et enfants de chœur, et place l’imbécile Leif dans un tel état que Mitton se complaît, dans huit séquences différentes, à le montrer excité et entreprendre de se faire une petite volupté dans les latrines. Quand on disait que Mitton délaie le récit ! Huit scènes là-dessus, et encore Leif, visiblement, ne conclut pas... Je vous laisse à penser quel est le thème principal de la dernière scène de l’album...Et il faut six planches pour que les intrus parviennent de la porte du monastère à la salle des moines !!! Autre escroquerie : la couverture de l'album (deux mecs, tous attributs à l'air, qui se battent à la hache) ne correspond à aucune scène de l'album. Pas assez de zizis à l'intérieur, sans doute.
Décors intéressants du monastère, du Rouen médiéval (planches 18 à 20).
Un épisode mouvementé, mais allongé avec complaisance.