Un singe, vêtu d’un uniforme napoléonien s’accroche à la corde d’une potence. Il observe un joli papillon posé sur sa main. Je viens de vous décrire la couverture attirante et intrigante d’un ouvrage édité en septembre dernier et intitulé « Le Singe de Hartlepool ». Les auteurs nous apprennent qu’ils se sont inspirés d’une légende tristement célèbre du Nord de l’Angleterre. Il s’agit d’une fable tragi-comique qui parle de nationalisme va-t-en-guerre et du racisme ignorant qui ne connait pas de frontières…

Le trait graphique de l’illustration couplé à la thématique de l’histoire m’a rapidement conquis. A cela, s’ajoutait le fait que le bouquin était agréable au toucher et à feuilleter. Son format est au croisement de celui d’un roman et d’un album classique. Découvrir ce livre me permettait également de découvrir l’univers de deux auteurs jusqu’alors inconnus. Il s’agit du scénariste Wilfrid Lupano et du dessinateur Jérémie Moreau.

L’intrigue débute sur le pont d’un navire militaire français. Sa mascotte en est pour le moins originale. Elle est un chimpanzé qui imite le soldat à la perfection. Suite à une tempête particulièrement violente, le primate échoue sur une plage britannique. Les autochtones se montrent peu accueillants à son égard. N’ayant jamais vu un de leurs voisins outre manches, ils assimilent immédiatement le naufragé à un français parce qu’il pue, qu’il est laid et que son corps est couvert de poils rêches et graisseux. Son destin apparait donc inéluctable : il devra être pendu.

L’empathie ressentie pour la victime est évidemment immédiate. On se prend d’affection pour ce chimpanzé arraché à sa terre africaine par un soldat en mal d’exotisme et maintenant torturé par des anglais bêtes et méchants. A l’opposé, les habitants du village de Hartlepool nous sont antipathiques. Leur cruauté et leur idiotie horripilent. On a envie de leur mettre des claques tout en voulant protéger dans nos bras leur innocent prisonnier. On ne cesse d’espérer que la situation ubuesque à laquelle on assiste cesse et que d’un côté on rencontre une lueur d’intelligence et de l’autre on retrouve la liberté. Cette aspiration prend les traits d’un médecin de passage en ville. Lui-même étranger à la folie locale, il observe les événements d’un regard extérieur avec une vision critique. Pourra-t-il faire apparaitre la raison dans le village ?

Cette histoire exploite le thème de la haine de l’étranger avec un vrai talent. On est touché profondément par le devenir d’un héros dont on souffre en découvrant son innocence et son incompréhension. Il est également intéressant de voir cette thématique évoquée autrement que dans des contextes plus classiques et actuels. Cette fable est vraiment prenante et son intensité ne fait que croitre tout au long des quatre-vingt-dix pages qui composent l’album. Nos émotions sont mises à rude épreuve. A aucun moment, on se sent spectateur de la trame. On la vit pleinement même si on doit souffrir. A ce niveau-là, la construction scénaristique est habilement dosée.

Mais le plaisir de la lecture ne résulte pas uniquement de la qualité de la narration. Le dépaysement immédiat ressenti à peine le livre ouvert est le fruit du travail de Jérémie Moreau. Son talent offre des illustrations envoutantes. On n’a aucun mal à sentir le vent et l’embrun sur les côtes de ce village. Le côté « coupé du monde » de Hartlepool apparait évident. La dimension enclavée et isolée de cette communauté est bien rendue et rend ainsi parfaitement crédible que les habitants prennent un singe pour un soldat français. Les couleurs participent également à l’atmosphère qui envahit notre lecture. Les personnages possèdent des traits très ronds qui pourront convaincre plus difficilement certains lecteurs adeptes d’un style plus classique. De mon côté, j’ai savouré parfaitement le genre qui fait naitre chez chaque protagoniste une réelle identité.

Pour conclure, je conseille vivement ce bouquin. Il offre une histoire complète et intense. On n’est pas insensible au devenir du héros et la lecture est active et prenante. « Le singe de Hartlepool » m’incite donc à partir à la découverte de l’univers de ses deux auteurs qui m’ont conquis avec cet ouvrage. Mais cela est une autre histoire…
Eric17
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le 22 déc. 2012

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