Parodie de procès, parodie de bien-pensance
La lourdeur des intentions pacifistes et anti-nationalistes de cette fable (?) casse le peu de vraisemblance qui resterait dans l'esprit du lecteur après avoir dû avaler qu'il est question du procès intenté à un singe. Même le fait de faire passer un animal en jugement est plus vraisemblable que l'outrance difficile à supporter avec laquelle les auteurs opposent personnages "positifs" ( les pacifistes, le bon peuple qui veut la paix, les intellectuels influencés par les Lumières) et les "vilains" (le fanatisme nationaliste, la haine de l'autre (exacerbée entre Français et Anglais par les guerres de la Révolution Française), le bellicisme, la cruauté bête et méchante, l'ignorance des gens de Hartlepool, minable petit village littoral d'Angleterre, peuplé de bouseux aussi éveillés que les dégénérés des patelins perdus des films d'horreur US, et qui détestent tout ce qui n'est pas d'Hartlepool : les Français certes, mais aussi les Ecossais, et même les gens du village d'à côté : pages 33, 44, 55).
Du côté des procès faits à des animaux, le cas est avéré depuis longtemps; on trouvera dans la page de Wiikipédia cités ci-après des exemples édifiants de la connerie monumentale de l'humanité dans ce domaine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_d'animaux . La pauvre bestiole qui, dans l'album, est affublée d'un uniforme de révolutionnaire français, va le payer cher.
Mais cette outrance dans la mise en scène des "positifs" et des "négatifs", on la trouve où l'on cherche :
* côté "négatifs", dans les propos du capitaine de navire (pages 4 à 9); dans le front bas et les expressions empotées, haineuses et porcines du bon peuple de Hartlepool (pages 18, 20, 23, 24, 26, 28, 67); dans le personnage invalide de guerre, pétri d'une haine abominable pour les Français - haine qui va lui causer un choc en retour), pages 37-38, 58-60, 80-81; dans la conscience fate et ridicule des abrutis de Hartlepool de voir se jouer chez eux le sort entier de l'Angleterre (pages 39-41, 51, 55, 61); dans les préjugés pluriséculaires sur les différences culturelles (pages 70-71);
* côté "positifs", dans l'apologie du mélange des nations et des cultures à travers le personnage du mousse (pages 6 à 8, 30-31); dans les points de vue lucides et raisonnables de la petite fille et du Docteur, qui voient bien que le "Français" n'est qu'un singe (pages 42, 57, 86-89); dans les personnages défavorables aux haines nationalistes et à la peine de mort (pages 47, 76-77); dans le rapprochement attendu du petit mousse français et de la fillette anglaise (pages 80-81)...
La seule vraie astuce de scénario est dans l'identité du médecin, révélée à la fin : joli clin d'oeil ironique.
Le dessin de Jérémie Moreau a choisi l'option caricaturale, à la hauteur de l'outrance du scénario : visages bouffis et déformés, expressions outrées, rendu 2D des volumes ravalant le graphisme au niveau de l'illustration édifiante d'album pour jeunes enfants, inquiétante mélancolie de l'atmosphère construite par l'usage de semi-couleurs (bruns, gris, roses, orangés... peu de couleurs vives, sauf dans les rêves du singe, pages 52-54). Le choix esthétique et la gestuelle du dessinateur placent son travail dans la lignée de ce que fait Gerald Scarfe (le dessinateur de "The Wall", de Pink Floyd).
Finalement déprimant, à peine ouvert sur un vague espoir de recours à la science et aux Lumières pour émerger de l'animalité fanatique, ce catéchisme super-bien pensant attaque la connerie, l'esprit de clocher, le nationalisme et l'ignorance avec une violence et un manque de crédibilité qui lui font rater son but. Les auteurs haïssent les cons, c'est manifeste. Mais c'est toujours de la haine. On n'est pas sortis.