Le Sursis, tome 1
7.7
Le Sursis, tome 1

BD franco-belge de Jean-Pierre Gibrat (1997)

La France sous l'Occupation. Voilà un thème que je trouve éminemment casse-gueule. J'ai gardé en mémoire des témoignages de grands-parents, des lectures ou autres documentaires en noir et blanc qui m'évoquent toute la tristesse et l'horreur de cette période sombre, et quand je feuillette cette oeuvre, un élément me déstabilise alors immédiatement : les couleurs ! Des aquarelles lumineuses, certes magnifiques, mais qui libèrent spontanément une atmosphère guillerette, tellement badine qu'elle en serait presque déplacée. Cette approche picturale semble délibérée et, braqué par l'appréhension de l'indécence, je ne suis pas certain d'avoir envie d'aller où Gibrat veut m'emmener.

L'impression se confirme à la lecture, mais je pense déceler un parti pris narratif qui soudainement m'apparaît assez génial : placer le contexte de guerre hors champ en concentrant notre attention sur la chronique du quotidien d'un village de l'Aveyron, sur les portraits de sa petite communauté et plus particulièrement l'idylle entre Cécile et Julien. L'auteur joue ainsi la gamme d'un réalisme intimiste et romancé qui nous dévoile la grande Histoire, mais à travers les hommes. Le lourd climat ne s'évanouit jamais totalement et demeure en filigrane, mais l'on s'attache avant tout aux gens et à leurs aspirations profondes, à leurs indifférences ou leurs emportements. Goûtant aux petites joies éphémères et à quelques autres moments de vie, l'on baisse très vite la garde. Pourtant, par quels faits ponctuels plus saillants, crimes ou actes héroïques, le cadre dramatique, qui se cantonnait jusqu'alors à un espace conjectural, devient brusquement plus palpable. La peur et l'angoisse nous reviennent d'autant plus fortes en pleine figure ; au-delà de la vision de la guerre, ce qui terrorise vraiment, c'est de prendre conscience de tout ce qu'elle peut faire perdre.

Je suis admiratif du brio avec lequel Gibrat mène sa barque. L'intensité émotionnelle est complexe et ne souffre d'aucun temps mort. Évoluant sur le fil du rasoir, le récit ne tombe jamais dans un lyrisme excessif, un pathétisme pesant ou dans une légèreté trop inconvenante. Tout est parfaitement maitrisé. Les personnages sont étonnants de réalisme. J'aime notamment le caractère de Julien, son côté égoïste inconscient emprunt d'une couardise et d'une lucidité de circonstance. Les dialogues parsemés de quelques touches de bonne humeur et les monologues intérieurs, créent de jolies connivences et font étalage de leur excellence littéraire. Quant à ce pinceau qu'au commencement je jugeais inadéquat, il est exceptionnel. De la justesse des sentiments (la sensualité de l'héroïne est presque tangible) à la beauté des paysages campagnards, la palette interprète sa partition en virtuose, du début à la fin.
À peine oserais-je regretter un petit peu plus d'ampleur psychologique chez quelques personnages (quelles sont donc les motivations des miliciens ?) et un chouia moins de pétulance dans certains échanges verbaux.

Un très bon moment de Bande Dessinée !
Sejy
8
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le 19 août 2011

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Sejy

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