La Rolls-Royce du dépaysement
Il n’y a pas à pinailler : Le Temple du Soleil, c’est LA grande aventure de Tintin, le voyage terrestre le plus dépaysant de tous, qui nous fait passer de la montagne à la forêt vierge, de la neige à la jungle. Avec ses lamas qui crachent de l’eau, ses Incas aux costumes fascinants, et ses péripéties ferroviaires en pleine Cordillère des Andes, c’est un album qui nous en met plein la vue lorsque gosses, on y plonge pour la première fois.
A la relecture, c’est moins bon, c’est sûr. Avec son interminable introduction autour du Pachacamac visité de nuit, voilà un album mal embouché. Au milieu, les péripéties du voyage sont agréables mais manquent de consistance, c’est vraiment express. Et la résolution de l’intrigue offre une double escroquerie finale : primo, des adorateurs du Dieu Soleil qui ne connaissent pas les éclipses, no way !
Et secundo, alors que Les Sept Boules de Cristal s’ouvrait sur une dénonciation intelligente du pillage archéologique mené par les Européens aux quatre coins du monde, ici Hergé donne l’absolution à toute l’équipe en faisant dire à Tintin quelques énormités que l’Inca gobe naïvement (... ‘comprenez, vos archéologues à vous valent pas deux clous, et pis vos trésors seront ‘achement mieux préservés en Europe !) ...
Il reste tout ce que l’album ne montre pas directement, ce qui l’entoure : d’un côté, des circonstances personnelles pas faciles pour Hergé, dont la dépression coupe net l’intrigue du Temple du Soleil. De l’autre, le format nouveau de cet album publié dans le flambant neuf Journal de Tintin, et qui offre avec ses doubles pages une construction horizontale et panoramique du plus bel effet. Ajoutons aussi le travail de titan accompli par Hergé pour se documenter sur le Pérou et les Incas : tous les costumes, les cérémonies, l’architecture, tout cela est fidèlement reproduit. Enfin, la collaboration sensible de Jacobs sur cet album, c’est d’ailleurs lui qui soutient Hergé et l’encourage à redoubler d’efforts.
Que retenir de cette aventure bancale et mal ficelée ? L’émerveillement que suscite le Temple du Soleil ! Entre la corde qui se rompt et l’attaque du condor sur les hauteurs escarpées, on a tous frissonné étant enfants lorsqu’on a découvert ces scènes saisissantes. Les Incas connaissent en fait les éclipses ? Peu importe, l’idée d’exploiter les phases lunaires pour faire mine de commander au Soleil, c’est une image qui ébahit tous les gamins.
Un album mal fichu, mais bourré de rêve et d’évasion. En somme, les carnets d’un Hergé au fond du trou, et qui pourtant se force à imaginer encore des histoires colorées...