Sortir de l'obscurantisme maoïste...
Ce tome 2 va de la mort de Mao à la mort de l’autre père de Xiao Li, le vrai. Xiao Li, entré dans l’armée, apprend l’arrestation de la « Bande des Quatre » (dont la veuve de Mao), présentée comme une association de contre-révolutionnaires (air connu...). On leur colle sur le dos les atrocités de la Révolution Culturelle, et voilà, le Grand Timonier est exonéré de toute faute, et Xiao Li va pouvoir le dessiner encore très très longuement... La procédure du bouc émissaire n’est pas seulement un rite sémitique...
Chapitre 4 : Le Parti.
Xiao Li veut entrer au Parti afin de parfaire son image de révolutionnaire, mais il a bien des difficultés à y parvenir, vu qu’il y a toujours quelqu’un pour lui rappeler – fort mal à propos – qu’il a des « bâtards noirs » parmi ses ancêtres. On remarque le parallélisme entre cette manière d’identifier l’individu et... le féodalisme que le maoïsme prétendait combattre : n’est-ce donc pas dans notre Moyen Âge, sous ses formes les plus inégalitaires et les plus oppressives, que la généalogie, l’image de la famille, ses armes et ses blasons, comptaient bien plus pour situer socialement un individu que sa propre action, ses propres mérites ? Où l’on constate l’antagonisme hurlant qui oppose la vision maoïste du monde et la simple liberté, la jouissance immédiate d’être ce qu’on est vraiment et de faire ce que l’on veut. Merci aux intellectuels français maoïstes de mai 1968 de nous avoir rappelé à quel point ils étaient ennemis de la liberté et de la vie !
Afin de mériter son entrée au Parti, Xiao Li se comporte en militaire scrupuleux, et joue les héros lors d’un incendie de village, ce qui lui permet de se faire remarquer en bien.
L’ère Deng Xiaoping – et sa politique droitisante, insinuant peu à peu de l’initiative privée dans l’économie chinoise, coïncide avec le moment où Xiao Li bénéficie enfin de quelques douceurs de la vie : la compagnie – platonique – de quelques jolies campagnardes, des invitations au restaurant, aux bains publics. L’austérité maoïste, alliée à la pauvreté et à la frugalité chinoise traditionnelles, desserre un peu son étreinte.
Chapitre 5 : La Terre Rouge.
Rouge, certes, mais voilà enfin la vieille culture chinoise qui ressuscite : dessins anciens, fêtes du Nouvel An. Xiao Li, pourtant, obsédé qu’il est par l’ambition d’entrer au Parti, va bosser dans une unité de production rurale, située dans une campagne perdue, et s’acharne au travail jusqu’à ce qu’un paperassier le tire de là, car ses dessins sont estimés, et Xiao Li va alors partir travailler à la propagande. C’est moins tuant, quand même. Surtout quand on est malade, tout seul dans sa campagne.
Xiao Li tombe amoureux de Baïlan, la fille du médecin. Il se rend compte, vraiment assez tard, qu’elle est déjà mariée à un freluquet assez grossier...
Il faut voir la méfiance des paysans du coin quand Deng Xiaoping leur propose le système de « responsabilité des terres », antérieur à la collectivisation (manière d’en sortir) : « Zaofan Youli » (« Toute rébellion est juste ») leur vient à la bouche à ce moment-là : la base paysanne du maoïsme se révolte contre le maoïsme au nom d’un slogan maoïste. Savourons...
La « pensée Deng Xiaoping » supplante rapidement la « pensée Mao Zedong », et voilà la Chine qui s’éveille enfin : les Quatre Modernisations, la constitution d’ateliers privés, la « libération de la Pensée », mais avec eux, l’abondance sur les marchés...
Joli fantasme surréaliste pages 146-147 : les vaches – objet de tous les soins de Xiao Li – se révoltent contre lui et lui font subir une séance d’autocritique. Un peu d’humour dans la tragédie... Li Kunwu nous gratifie enfin, page 161, de quelque « vrais » dessins de propagande qu’il a réalisés, et qui ont une toute autre tenue que les dessins pressés du tome 1. Il faut dire que son dessin s’est amélioré dans ce tome 2, et les visages des femmes sont particulièrement réussis.
Chapitre 6 : Vieux Li.
La Chine se modernise. Des dancings apparaissent (pensez à ce qui serait arrivé aux danseurs pendant la Révolution Culturelle !). Les Chinois s’ouvrent au monde : ils apprennent que l’homme a marché sur la Lune voilà plus de 10 ans ; on leur promet des salles de bains chez eux (luxe impensable !) ; et même, voilà des touristes américains (bien caricaturés, certes !).
La mort du père, bon communiste jusqu’au bout, apporte autant de mélancolie que de sujets de méditation.
Moins tragique que le tome précédent, ce volume nous montre l’histoire d’un homme submergé par l’Histoire, et qui tente de s’y insérer au mieux. Beau témoignage.