Après deux opus profondément mauvais (L'Onde Septimus et Le Bâton de Plutarque !), s'appuyant platement sur les réussites magistrales de Jacobs que sont La Marque jaune et Le Secret de l'Espadon, Le Testament de William S. apparaît en comparaison comme une bouffée d'originalité. Au moins, il y a ici une intrigue conçue en dehors de celles de Jacobs. Je ne vais pas aller jusqu'à dire que c'est un grand Blake et Mortimer puisque ce n'est pas le cas, mais il est au-dessus du niveau moyen des reprises.
Juillard ne fout pas grand-chose au dessin, le minimum syndical, mais cela devient tellement une récurrence que le lecteur ne peut que malheureusement s'y habituer. L'expressivité des personnages est quasi-nulle ; bon, là, aucune surprise, c'est une habitude avec le monsieur.
Mais l'exemple le plus choquant ici de ce bâclage, ce sont les scènes de bagarre, avec les espèces de droogs, sans la moindre notion de l'espace (Blake se précipite sur les lieux en deux-trois enjambées alors que la distance semble nettement plus conséquente !), réduites à trois ou quatre pauvres cases ce qui annihile toute l'intensité potentielle de ces confrontations.
Le scénario n'est pas sans défauts non plus.
Justement à quoi servent ces droogs ? À rien de spécial, l'histoire aurait pu s'en passer. Non, sérieux, vous enlevez les droogs, il n'y a rien de perdu. Au contraire, il y a même de l'espace de gagné et des incohérences en moins. Oui, parce que vous pensez sérieusement que les autorités d'un quelconque pays laisseraient passer, impuissantes, pendant longtemps des agressions sur des riches ou des diplomates étrangers sans faire le maximum pour les arrêter ? Si cela avait concerné des citoyens moyens, elles n'en auraient rien eu à péter, c'est sûr, mais sur des riches et des diplomates (donc avec le risque de créer de gros incidents avec d'autres nations !), non, ce n'est pas crédible. Et Blake, directeur du MI5, donc un type très très puissant, ayant accès à tout moment au 10 Downing Street, pouvant faire appel à tous les corps militaires, policiers et de contre-espionnage du pays, n'est pas capable de faire traquer et arrêter des jeunes aux costumes voyants de dandys ayant dix mètres d'avance sur leurs poursuivants ? Franchement ?
Autre personnage inutile : Olrik. Je ne dis pas que cela n'est pas intéressant de voir Olrik essayer de nuire à ses ennemis en ne bougeant pas de sa cellule de prison. Mais pourquoi le comte oxfordiste demande son aide ? Pour traduire un texte en latin ? Euh, ce n'est pas une langue obscure d'une civilisation obscure avec juste une petite poignée de personnes capable de la traduire. C'est une langue certes morte, mais suffisamment célèbre pour le comte puisse demander à quelqu'un d'autre d'accomplir cette tâche (il n'y a pas de latinistes sortis des rangs d'Oxford ou évoluant dans la noblesse ?) ou le faire lui-même avec l'équivalent anglais d'un Gaffiot. Pour son réseau criminel ? Euh autant dans les opus de Jacobs et dans L'Affaire Francis Blake, Olrik donnait l'impression d'être un véritable Ernst Stavro Blofeld en puissance, ayant des hommes de mains redoutables partout sur le globe, autant ici, il donne plutôt celle de n'avoir sous ses ordres que deux pauvres corniauds stupides et incompétents.
Ben, qu'est-ce qui reste après tout ça ? Ben, Shakespeare et le glamour !
Juste une petite dernière incohérence, promis ! En trois cents ans, personne n'aurait appuyé sur l’œil pour une raison ou pour une autre ? Hum !
Bon, Shakespeare. Je dois dire que tout ce qui tourne autour de Shakespeare m'a emballé. Il y a tellement de mystères autour de cette figure que Sente ne se prive pas d'exploiter, à raison. Là, il y a une connaissance approfondie du mythique dramaturge, de sa vie et de son œuvre. Il y a une connaissance tout aussi approfondie de l'époque dans laquelle il vivait. Les passages le mettant en scène comme protagoniste sont passionnants et même tout à fait dignes de Jacobs. Ils se permettent de broder une légende sur l'auteur d'Hamlet et je trouve cette dernière passionnante et touchante, à un point que j'aimerais bien qu'elle soit vraie. Cela donne envie de se plonger dans l'intégrale du Monsieur pour mieux connaître ses pièces, son univers.
Et le glamour ! Ce n'est pas ce qui vient en premier à l'esprit quand il s'agit de Blake et Mortimer, parce que cet univers ne s'est jamais appuyé sur cela. C'est donc une nouveauté et c'est tant mieux. Il n'y a rien de mieux que ce qui est inédit chez le fameux duo. Et les années 1950 s'y prêtent à merveille. Il ne faut pas oublier que les films, la manière de s'habiller, les objets, etc. de cette décennie étaient des summums de glamour. Alors que la BD fasse rouler Mortimer en Ferrari, en compagnie d'une jeune belle femme agréablement piquante du nom d'Elizabeth McKenzie, ouais, c'est cool, j'adhère.
Bref, la légende shakespearienne et le glamour font du Testament de William S. un album plaisant à lire.