Il y a des fois où le hasard fait bien les choses. Le fait que je sois entré chez Gibert Joseph pour la première fois depuis six mois, sans but précis, et que je sois tombé nez à nez avec Elric relève-t-il du hasard ou du destin ? Honnêtement je suis pas un mystique mais je doute vraiment. Je feuillette, préface par Moorcock lui-même, dessins magnifiques, je suis conquis. Je regarde le prix, 15€, ouille ça fait mal mais bon, il y a quelque chose de magnétique dans la façon dont Elric me regarde du haut de son trône. Allez. Je trouverai un cadeau pour ma douce une autre fois.
Et en effet, plusieurs lectures plus tard, difficile de ne pas être enchanté par cette adaptation. Il faut dire que, comme mon pseudo vous l'a peut-être déjà laissé penser, j'aime beaucoup les romans de Michael Moorcock dont elle est tirée. Bien sûr, l'œuvre avait déjà été adaptée avant, principalement en comics, mais aucune ne rendait véritablement justice à l'original. Celle-là a tout compris.
Sur le fond d'abord : comme le dit Moorcock lui-même, Julien Blondel a parfaitement retranscrit, et a même magnifié, cette atmosphère de décadence, de grandeur passée, qui faisait toute l'âme des cycles d'Elric. Melniboné, magnifique et terrifiante, dont les habitants ont des valeurs si différentes des nôtres. Contrairement aux comics américains, notre scénariste français fait passer l'épique (qui reste bien présent) au second plan, car il a bien compris que ce n'était pas ce que Moorcock considérait comme le plus important. il faut également saluer la mise en scène, parfaite : toujours les images subliment les textes, et les textes subliment les images, comme dans cette introduction où on assiste à la naissance d'Elric.
Sur la forme ensuite : des portes du labyrinthe à l'invocation d'Arioch, c'est une véritable débauche visuelle que nous livrent les trois dessinateurs ; chaque plan est magnifique, chaque nouveau personnage, chaque nouveau bâtiment, chaque nouveau dieu, n'aurait pu être dessiné autrement.
Elric, transpirant la décadence et la lassitude. Cymoril, magnifique, terrible mais impuissante.
Yyrkoon, sournois au possible. Le docteur Jest, on ne pouvait aller plus loin dans le sado-masochisme.
Melniboné, tentaculaire cité d'obsidienne. Les navires melnibonéens, terribles et anciens. Et puis, le trône de rubis.
Mais surtout, surtout, Straasha, poulpesque à souhait ; et Arioch, pour qui les auteurs ont tout simplement choisi l'incarnation la plus troublante, la plus ambiguë que Moorcock avait jamais évoqué. Le choix choque au début, et c'est exactement ce qu'on devait attendre d'un seigneur du chaos. Décidément, les auteurs ont vraiment tout compris, ils nous livrent du grandiose, du décadent (jusque dans les costumes des courtisans, toujours plus inventifs) sans jamais tomber dans le kitsch.
Que dire de plus ? Que, malgré ma forte propension a râler sur ces BDs de plus en plus chères et de plus en plus hautes (ça tient plus dans la bibliothèque !), pour une fois ce bijou vaut vraiment le prix qu'on le paye (d'autant plus que les pages de carnets expliquant la démarche des auteurs sont des plus enrichissantes) ? De toute façon, voir le roman qui a bâti ma culture littéraire être mis en images d'une façon aussi somptueuse, ça n'a pas de prix ; je ne peux qu'attendre la suite. Et conseiller cette BD à tout un chacun, qu'il soit fan de Moorcock ou tout simplement amateur de beaux dessins.