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Si Tchen Qin est mort, il n’en a pas fini avec les ennuis. Tel Jonas, et conformément aux règles d’une mythologie différente, il se retrouve dans « Le Ventre du Dragon », une espèce d’entre-deux, antichambre de l’au-delà, où se confrontent les instances psychologiques et morales qui se sont partagé la vie du moribond. Une auto-pesée de l’âme, en somme. Même Cothias, mécréant en diable, se croit obligé de nous jouer la grande scène des démons des limbes, histoire de satisfaire son penchant soutenu pour le fantastique.

Réflexe français contestataire ? Un des problèmes majeurs attribués à l’esprit de Tchen Qin lorsqu’il passe dans les limbes, c’est sa discipline de samouraï : pourquoi toujours obéir ? Même son ombre, ectoplasme grotesque qui surgit à compter de la planche 10, remet en question le conditionnement socio-culturel auquel Tchen Qin obéit avec persévérance. C’est une Ombre au sens junguien : elle connaît les traits de caractère les plus secrets de Tchen Qin, et cherche à inverser les rôles (« Et qui te dit que ce n’est pas exactement le contraire ? Si c’était toi l’image ? Mon double déformé ?? » - planche 11). Le vrai Dragon, celui dans lequel Tchen Qin va passer un petit moment, raconte sensiblement la même chose (planches 17-18).

Dans ce « ventre du Dragon », Tchen Qin franchit le jardin des tentations (planche 13), frôle le Paradis des immortels (un peu taoïstes sur les bords, mais on est au Japon quand même), s’y fait remémorer la loi du Karma, rencontre les spectres de ses victimes, mais aussi de Bafu (planches 20 à 23). Le vieux thème aux termes duquel un démon n’est qu’une tendance psychique mal aimée (il suffit de l’aimer pour lui voir prendre un aspect plus sympa) domine les planches 25 et 26. Puis Tchen Qin traverse le désert, pour être soumis à l’épreuve érotique majeure : baiser une hideuse vieillarde qui lui prend sa jeunesse (planches 32 à 34), ce qui en fait une fille ravissante (planche 40), qui est sur le point de détacher Tchen Qin de tout souvenir charnel. Raté : même Mara, la déesse de la Mort tentatrice de Bouddha, lui apparaît sous les traits de Pimiko : où est l’illusion ?

On est un peu plus gêné par le culte de la personnalité de Tchen Qin que déploie Cothias au long de l’album. Bon, ça va, on a compris que c’était lui, le héros, mais transformer chaque personnage vivant en psy admiratif du beau guerrier (alors qu’il n’était pour chacun, au mieux, qu’un rival ou un compagnon d’armes), c’est un peu gros.

Au passage, on apprend (planche 26, dernière vignette) que les ancêtres de Tchen Qin ont « toujours combattu fidèlement sous les ordres des générations d’Oshikaga, et je suis le dernier héritier de la race... », et ce, « depuis les premiers jours des Empereurs Hojo ». Bon, calculons : le clan Hojo a pris le pouvoir vers 1200, et Marco Polo (que Tchen Qin rencontrera dans la suite de la saga) arrive en Chine en 1274. Déduction : l’action se passe vers 1270, mais la famille de Tchen Qin est active au Japon depuis 1200 au moins. Ce qui complique pas mal la question du nom de notre héros : Tchen Qin n’est pas un immigré chinois de fraîche date...

Seule Pimiko ne croit pas que Tchen Qin soit mort. Cette poupée sort de son rôle d’ouvreuse de cuisses en faisant preuve d’une foi en son amour pour le beau samouraï, foi qui devrait transcender la mort. Cet amour authentique la rachète un peu, d’autant qu’elle nous confie son histoire : fille de samouraï, elle se veut maîtresse de son destin, et souhaite que Tchen Qin en fasse autant.

Le résumé du Tome 1 occupe les deux premières planches. Il est l’occasion de bien typer les personnages majeurs de cette partie de la saga : Toshi, le samouraï au visage en triangle ; Kaï, le barbu truculent de la bande ; Kozo, le méchant de service soigneusement maquillé ; et Bafu au visage de Lune, pensionnaire de l’Enfer dans lequel il perd toute illusion humaine.

Lourd pédagogue, Cothias nous inflige au fil du récit les noms (annotés !) de quatre ou cinq heures du comptage japonais de la journée. Le passage dans l’au-delà est mis à profit pour mettre en scène certaines croyances japonaises relatives à cet état particulier (planches 3, 14 à 20, et jusqu’à la dernière planche).

Côté « réel » (tiens, il existe encore, celui-là ?), l’intrigue du complot de Kozo contre le pouvoir d’Oshikaga avance, mais poussivement (On ne peut pas tout raconter à la fois). Les camps se forment, et Kaï et Toshi apparaissent comme des « bons », probes, et ennemis de Kozo. Kaï est plus charnel, plus passionné, Kozo plus porté à relativiser les choses, donc plus sage.

Le dessin d’Adamov est d’une netteté et d’un réalisme qui aident à rendre vraisemblables les visions fantastiques inscrites au scénario. De nombreux bleus-gris parcourent les armures, les roches, les chauves-souris, les cours d’eau, et parfois, en légères nuances, les parties ombreuses des visages. Les paysages naturels, soignés, incitent au rêve par leur caractère hospitalier, la pleine lune (planche 1) qui éveille les visions nocturnes et les folies de l’esprit, les curieux nuages filiformes, étalés comme des tracés d’EEG plats. Beau château d’Oshikaga planches 6-8, avec un délicieux jardin japonais, paradis en miniature.

Ce tome 2, par sa fantaisie mythologique, équilibre quelque peu le réalisme historique du tome 1, et nous offre une pause (relative) dans les épanchements érotiques du début.
khorsabad
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le 18 avr. 2013

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khorsabad

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