Federico Fellini a toujours eu le projet de réaliser un film intitulé "Le voyage de Mastorna". Finalement, le film ne s'est jamais fait, et Fellini en a adapté le script pour en faire un album de bandes dessinées, dont les dessins ont été confiés à Milo Manara.

Cet album contient le début du récit tel que dessiné par Milo Manara, et tout le reste du livre reproduit le story-board esquisé par Federico Fellini lui-même, associé page par page aux premières versions des dessins réalisés par Manara.

Le récit, très onirique et fantaisiste, s'étend sur 23 planches dessinées en aquatinte. C'est l'histoire d'un quinquagénaire empâté (qui a les traits de l'acteur Paolo Villaggio). Il porte avec lui un violoncelle. Il prend l'avion, dans lequel il regarde un film de Laurel et Hardy. Mauvais temps. Au lieu du crash attendu., l'avion se pose sur le parvis de la Cathédrale de Cologne. Un hôtesse de l'air accorte entraîne Mastorna dans un traîneau tiré par des chiens vers un très bel hôtel, en pleine panne d'électricité. Un copain l'invite à table. Au milieu de la salle, une belle danseuse nue fait son numéro en public, puis accouche sur place. Mastorna va jouer du violoncelle dans sa chambre. La télévision y annonce une catastrophe aérienne. Fin.

Manara est au sommet de son art. Précision et clarté du trait, parfaits contrastes de luminosité conférant une lisibilité idéale aux images, parfois inquiétant dans l'opposition entre le réalisme du dessin et des pulsions expressionnistes qui s'expriment dans les regards. Avec Manara, l'animalité ophidienne, hypnotique, rôde toujours sous la plastique sublime.

Son rendu des scènes du film "Laurel et Hardy" est époustouflant. Pour une fois, Fellini se sera passé de femmes plus ou moins alourdies. Manara nous sert une hôtesse de l'air en jupe courte, svelte et aux yeux en amande; une jupe relevée d'une passagère sur le toboggan de secours de l'avion, où l'on a gommé la réplique "regarde devant toi !" que la femme adresse à celui qui la précède sur le toboggan, et qui jette un regard intéressé sur l'entrejambe de la passagère; la danseuse nue, vêtue d'un léger voile attaché sur son sexe par un bijou, a un corps d'une souplesse et d'une fermeté remarquables, et les douleurs dues à son accouchement en plein numéro lui arrachent des mimiques orgastiques...

Par rapport aux dessins préparatoires, cette danseuse a perdu son ventre volumineux de femme enceinte, ce qui peut paraître étrange pour quelqu'un qui accouche sur place ! Ce n'est pas le moindre mystère de ce récit; il y en a d'autres : l'avion de Mastorna s'est-il vraiment crashé ? La scène se joue-t-elle alors depuis un au-delà fantasmatique ???

De souples dessins et des témoignages de Fellini enrichissent cet album. Par contre, Manara renâcle un peu à détailler la façade de la cathédrale de Cologne. Moins sexy, il est vrai.
khorsabad
7
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le 24 févr. 2013

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