Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par François Vignolle et Julien Dumond, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. Cet ouvrage comprend 144 pages de bandes dessinées.


Au Raincy, dans la banlieue nord de Paris, Yanis Habbache est en train de réparer un faux contact dans le moteur d'une voiture stationnée dans la rue. Son fils sort de l'immeuble et lui suggère de laisser tomber, car il juge la voiture bonne pour la casse. Le 28 septembre 2016, un jet privé atterrit à l'aéroport du Bourget. Il en descend Kim Kardashian, accompagnée par Simone son amie styliste, et escortée par son garde du corps. Les photographes la mitraillent depuis l'autre côté du grillage. Bien installée sur la banquette arrière d'une limousine, Kim Kardashian commence à twitter pour informer ses fans : elle est arrivée à Paris, une ville si romantique. Rue de Bretagne dans le troisième arrondissement, Aomar Ait Kacem pénètre dans le café Le Paparazzi. Il parle affaires avec le barman. Ce dernier lui montre une vidéo sur son portable : Vitali Sediuk un ancien journaliste de la télé ukrainienne s'est approché de Kardashian plaçant sa tête à côté de son postérieur. Il a rapidement été maîtrisé par le garde du corps de Kardashian. Aomar Ait Kacem (dit Le Vieux) indique au barman qu'il ne lui reste plus qu'à convaincre un vieil ami et il pourra accomplir le coup : cueillir Cendrillon.


Le lendemain, Kim Kardashian participe au défilé Balmain à l'Hôtel Potocki. Elle y croise Carla Bruni. Les photographes n'arrêtent pas de la mitrailler. Son compte Twitter s'affole. Le dimanche 2 octobre 2016, Yanis Habbache remonte dans son appartement, et informe sa femme qu'il a fini le boulot sur la voiture : ça devrait lui rapporter 50 euros. On frappe à la porte : c'est Aomar Ait Kacem qui vient lui rendre visite. La femme de Yanis lui fait les gros yeux, pas contente de cette visite. Habbache vient lui proposer de participer à un gros coup. Aomar Ait Kacem lui indique qu'il va bientôt se faire opérer du cœur, et qu'il faut que ce soit un coup tranquille. Il en obtient l'assurance d'Habbache. Pendant la Fashion Week, Kim Kardashian est de tous les défilés, embrasant tous les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Snapchat. Enfin, le dimanche soir, elle va pouvoir passer une nuit tranquille, seule dans sa suite. À 02h10, trois clampins en blouson noir, avec un brassard Police et le visage masqué se présentent à la réception de l'hôtel No Adress, braquent le réceptionniste et se font ouvrir les portes.


En face ce de la première page de bande dessinée, les auteurs indiquent qu'ils ont eu accès au dossier de l'enquête judiciaire et qu'ils ont rencontré plusieurs protagonistes de l'affaire. Pour autant certaines scènes relèvent de la fiction. Les faits sont simples : le 03 octobre 2016, Kim Kardashian se fait braquer dans sa suite de l'hôtel Pourtalès (dans le huitième arrondissement) et est victime d'un vol de bijoux pour un montant d'environ 10 millions d'euros. Le 09 janvier 2017, la police arrête les auteurs présumés du vol qui devraient être jugés en 2020. Au fil du récit, le lecteur fait connaissance avec 2 des braqueurs (Yanis Habbache, Aomar Ait Kacem, dont les noms ont été changés du fait que le procès n'ait pas encore eu lieu). Il se retrouve aux côtés de Kim Kardashian quand elle descend de son jet privé, dans sa suite à l'hôtel, chez elle à Los Angeles. Il participe aux investigations des principaux inspecteurs de police, Anton Molko, Justine Paquej et Loïc Libra dont les noms ont également été changés. La lecture donne une impression de reportage, comme si les auteurs avaient pu être présents dans les moments clé, avec un choix de séquences et un montage intelligents, sans donner dans le sensationnalisme. Grégory Mardon réalise des planches en phase avec cette approche. Ses dessins se situent entre des instantanés pris sur le vif (la coiffure d'Anton Molko) et des représentations avec une bonne densité descriptive pour que le lecteur puisse voir chaque lieu (rue du Raincy, intérieur de l'hôtel Potocki, appartement modeste d'Aomar Ait Kacem, suite luxueuse de l'hôtel Pourtalès, bureaux de la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), quartier de Créteil, rue du dix-neuvième arrondissement, cellule du centre de détention de Fresnes.


Les auteurs ont pris le parti d'effectuer une reconstitution naturaliste, sans exagération spectaculaire ou racoleuse. Les personnages ne sont pas représentés de manière romantique, ni embellis. Le lecteur peut voir les marques de l'âge sur les braqueurs. Grégory Mardon n'en rajoute pas sur la plastique de Kim Kardashian, simplifiant ses traits de visage, en marquant essentiellement ses grands yeux et ses lèvres charnues. Lors du braquage dans sa chambre, il ne la transforme pas en objet du désir même si elle ne porte qu'une robe de chambre, montrant plutôt sa vulnérabilité face aux voleurs qui eux -mêmes ne prêtent pas attention à son corps. Bien que le métier de cette personne soit de mettre en scène sa vie pour rentabiliser sa personne et son style de vie en tant que produit, elle apparaît comme un être humain, avec sa vulnérabilité, sans rien occulter de son mode de vie. Le talent de l'artiste va plus loin qu'humaniser une personne ayant un talent extraordinaire pour façonner son image, il sait faire exister sur le même plan, deux niveaux de vie séparés à l'extrême, de la banlieue ordinaire et banale, aux palaces des défilés de mode et aux fastes de la Fashion Week. Ainsi le récit est ancré dans le réel, sans misérabilisme pour le regard jeté sur les quartiers populaires, sans étoiles dans les yeux en regardant les signes ostentatoires de richesse, les paillettes et le luxe


Les coscénaristes ont construit leur récit sur la base de séquences qui se focalisent sur les faits : le lieu de vie d'Aomar Ait Kacem, les prises de contact de Yanis Habbache, l'arrivée de Kim Kardashian à Paris, le braquage et la fuite (20 pages), l'arrivée de la police, la déclaration de la victime, les différentes phases de l'enquête. Pourtant le lecteur ressent des émotions, perçoit que les auteurs ne se contentent pas d'être factuels. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que ces émotions sont essentiellement générées par les dessins. En effet il perçoit la concentration du garde du corps dans son visage fermé et tendu, l'indifférence blasée de Yanis Habbache faisant affaire avec le barman (étrange qu'il puisse fumer dans un café), les sourires professionnels de façade des people aux défilés, l'hostilité de la compagne de Kacem en voyant arriver Habbache, la terreur de Kim Kardashian se retrouvant à la merci d'individus cagoulés et armés, le calme né de l'expérience d'Anton Molko quand il prend connaissance des faits. De temps à autre, Grégory Mardon accentue une expression de visage pour marquer l'intensité de l'émotion, par exemple quand Anton Molko se rend compte que tout le monde donne son avis sur le braquage, sur les réseaux sociaux (Karl Lagerfeld, Mathieu Kassovitz). Il s'agit donc d'une histoire incarnée, où interagissent des individus adultes habités par des convictions et des valeurs.


Le lecteur se demande bien quel parti pris vont adopter les auteurs pour raconter leur histoire : plutôt défense de la victime, ou plutôt Robin des Bois ? Voire moqueur en jouant sur le décalage sur la vie de célébrité de Kim Kardashian et le braquage effectué par des individus du troisième âge se déplaçant à bicyclette ? Bien sûr ce décalage est mis en scène : l'appartement modeste d'Aomar Ait Kacem contraste avec le luxe de la suite de Kim Kardashian, le déplacement à vélo avec gilet jaune est aux antipodes des déplacements en jet privé, les 50 euros de réparation à rapporter aux revenus de Kim Kardashian. Mais le récit ne vire pas à la dénonciation, à la critique sociale. Le style de vie de Kim Kardashian n'est montré comme enviable, ou comme un statut social à atteindre ; le style de vie de Kacem et Habbache n'est pas paré d'un vernis romantique, ni pointé du doigt. Kim Kardashian aspire à un moment de détente, à arrêter d'être en représentation pour une soirée ; les braqueurs ont déjà fait de la tôle, y passant plusieurs années de leur vie. Les auteurs ne se rangent donc ni du côté de Karl Lagerfeld réconfortant la star, ni de Mathieu Kassovitz voyant là un acte symbolique de revanche du peuple contre une profiteuse vaniteuse de la société du spectacle. Ils ne cherchent pas non plus à présenter une version originale ou différente de l'enquête, encore moins conspirationniste (ce braquage aurait été mis en scène comme tout le reste de la vie de Kim Kardashian…). Mais quand même…


Au travers de cette reconstitution un peu romancée, le lecteur touche du doigt le spectacle factice monté de toutes pièces de la vie de Kim Kardashian, une sorte de quart d'heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol (1928-1987), étiré à l'échelle d'une vie dans une société du spectacle théorisée par Guy Debord (1931-1994). Il contemple l'inégalité de la répartition des richesses. Il assiste à l'efficacité de la police dans son enquête, sans diabolisation (pas de sous-entendu sur un outil d'oppression), sans non plus d'angélisme sur ce corps de métier. Dans le même temps, cette bande dessinée retrace un fait divers, sous l'angle d'un fait de société en faisant apparaître les différentes composantes, les différents angles de vue pour le considérer, rendant compte d'une réalité complexe, habitée par des êtres humains complexes et divers, où la vie d'une célébrité se mettant en scène croise celle de banlieusards du troisième âge.


François Vignolle, Julien Dumond et Grégory Mardon reconstituent le déroulement d'un fait divers sortant de l'ordinaire : le braquage d'une célébrité mondiale par un groupe de prolétaires âgés. Ils jouent le jeu du reportage objectif, trouvant le juste équilibre entre braqueurs et victimes, sans parti pris affiché pour les uns ou contre les autres. Le lecteur voit alors apparaître une radiographie partielle de la société sous un angle original et révélateur.

Presence
10
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le 18 nov. 2019

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