"Jeune femme égarée cherche amie étrangère pour correspondre et trouver ainsi raison de vivre". Cela aurait pu être l'annonce écrite par l'héroïne narratrice de cette histoire.
Elle a 22 ans, vit chez sa mère car son père est en hôpital de jour, service dépression, et décide de partir seule, un mois, au Vietnam. Elle s'y sentira aussi mal qu'à Paris, puis frôlera la mort, puis trouvera l'amitié chez une gamine de 12 ans confrontée très tôt à la misère et à la violence, puis repartira chez elle.
Si la BD s'arrêtait là, elle ressemblerait à un film de Lelouch : obscène de voyeurisme et d'apitoiement de riche gâté. Heureusement, la narratrice va poursuivre son histoire pendant dix ans, en maniant de manière assez fine les ellipses et les moments forts. La relation entre la Française et son amie Hmong (pas Vietnamienne !) survivra aux milliers de kilomètres qui les séparent... et surtout aux écarts de culture, à la transformation en adulte de la petite enfant pauvre, aux tiraillements qui écartèlent les deux femmes en perpétuelle construction de leur identité.
Les sentiments sont à assez juste distance pour nous émouvoir sans être tire-larmes ; le dessin assez fouillis sait devenir graphique lorsqu'il s'agit de représenter une falaise mais s'adapte aussi à la douceur des brumes de Sapa, la ville de la Hmong... Quelques beaux passages métaphoriques nous permettent de découvrir les enjeux de cette relation et de cette mise à distance personnelle : les brumes naturelles se retrouvent ainsi dans les yeux des deux pères, tous les deux absents à leur manière, tous les deux totalement mythifiés et donc invisibles de la vie des jeunes femmes.
Quelques petits regrets : le dessin manque parfois de précision sur les visages des personnages, tous un peu figés dans le flou du gribouillis à part quelques expressions bien rendues mais souvent appuyées. De même, certaines scènes semblent inutiles comme lorsqu'à 30 ans, la narratrice se fait draguer par un rabatteur de prostituées mineures. Même si cela s'est vraiment passé comme cela, à part rappeler qu'il y a du tourisme sexuel (ce qui est déjà dit plusieurs fois auparavant, ou montrer que cette fois c'est l'Européenne qui doit être sauvé par les Hmongs), quel est l'intérêt?
Ceci dit, cette bd est vraiment belle et délicate. Pas aussi poignante que La Légèreté de Catherine Meurisse, pas aussi profonde que Si j'étais une femme, je m'épouserais de Joann Sfar, mais elle pose un regard juste sur une génération perdue en quête de sens.