Chez les fans de western, il y a 2 clans : les inconditionnels du western US et les inconditionnels du spaghetti western. Dans les années 70, les gens de ma génération ont vu arriver parfois avec mépris le western italien qui venait d'enterrer le péplum à Cinecitta ; moi, j'ai tout de suite adoré le western italien, je suis passé pour un incompris pendant des années et un faux frère parce que j'aimais les 2 styles... mais attention, dans le western italien, il y a aussi des navets, il faut donc être circonspect dans ce créneau, et choisir avec soin. Parmi les cinéastes de qualité, il y avait Corbucci, Tessari, Sollima et parfois Margharetti qui se cachait sous le pseudo de Anthony Dawson. Sergio Leone était déja hors concours, c'était le maître dans ce genre comme John Ford fut le maître respecté à Hollywood.
Aussi, au début des 80's, quand Swolfs lance Durango, le western spaghetti avait encore des fans parce que le western US était mort, et n'avait pas encore redécollé avec des films comme Pale Rider ou Silverado. Swolfs profite donc du travail accompli par Gir dans Blueberry et par Hermann dans Comanche en intégrant l'univers du western spaghetti, et en jouant exclusivement sur ce style, avec des cadrages, un découpage, un ton cinématographiques et des codes bien précis qui donnent indéniablement une ambiance ; il ne manque que la musique de Morricone.
Ce premier épisode, inspiré directement du film de Corbucci, le Grand Silence, avec Trintignant et Kinski, au sein d'un décor neigeux, souffre encore un tout petit peu de son statut d'épisode pilote d'une grande série à venir ; tout n'est pas parfait, il y a quelques détails à ajuster. Le personnage principal est un pistolero solitaire peu loquace et quasi énigmatique qui nettoie de temps en temps la canaille qui infeste des bourgades, mais il ne cherche pas la bagarre, il a tendance à épouser des justes causes, ce qui attire les confrontations, et pour cela, il use de son arme (peu banale d'ailleurs dans l'Ouest, puisque c'est un mauser) d'une façon redoutable. Alors oui, tout dans son allure, son look, ses frusques sont inspirées ici par Trintignant qui jouait le rôle d'un muet dans le film de Corbucci, mais son caractère taciturne est lui inspiré par l'ami Clint, on verra aussi dans les albums suivants que Swolfs repique entièrement des scènes et des plans tirés des films de Sergio Leone.
De la même façon, l'intrigue ici est un quasi décalque du Grand Silence, avec un méchant qui a la gueule de Kinski, en plus vicieux, et avec un dénouement plus heureux. Tout ceci fonctionne plutôt bien, seul le héros reste encore un peu mal cerné, en retrait, Swolfs teste son personnage qui va s'affirmer avec les 2 albums suivants, mais son dessin est déja puissant et vigoureux, annonçant ses meilleures séries comme le Prince de la nuit ou Légende. Les couleurs sont un peu fades, elles prendront elles aussi de l'ampleur et de la luminosité quand les intrigues se passeront dans le désert classique de l'Ouest, ici la neige ne permet pas de grands effets. Mais ce qui est déjà surprenant, c'est qu'un débutant parvient à livrer un dessin aussi maîtrisé dès sa première BD, en plus elle est sortie en 1981 directement en album, ce qui était un risque car à cette époque, la prépublication dans un journal de BD comme Tintin ou Pilote ou encore Circus était un passage quasi obligé, surtout pour une première série créée par un nouveau venu, mais le pari a fonctionné, le succès a été immédiat.
Bref, cet épisode a le mérite de placer un personnage qui va devenir emblématique dans la BD western, la série va devenir une des meilleures dans ce genre qui m'est si cher, égalant sans mal les must du genre comme Blueberry, Comanche, Mac Coy ou Buddy Longway qui elles, évoluaient dans un style "américain".