Ce tome fait suite à Capricorne, tome 9 : Le Passage (2003) qu'il faut avoir lu avant. Il est recommandé d'avoir commencé par le premier tome pour comprendre toutes les péripéties. Sa première parution date de 2005 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 3 qui regroupe les tomes 10 à 14.
Le château de l’empire du Concept s’est effondré. Capricorne s’en retourne chez lui, à New York. Mais plus aucun téléphone, aucun télégraphe et aucun appareil se servant des ondes électroniques hertziennes ne fonctionne. Il ne peut contacter ni Ash, ni Astor à New York : il est devenu impossible d’envoyer un message d’un point à un autre sans s’y rendre en personne. À pied. Il a décidé de rejoindre la côte atlantique afin d’y prendre un bateau qui le ramènera chez lui. Le voyage est long, très long, et une fois de plus il va falloir qu’il trouve un abri pour la nuit. Tout à coup, un coup de feu retentit dans cette zone agricole légèrement arborée. Capricorne monte une petite pente pour aller saluer l’homme qui vient de tirer : Konrad Duroux, grand-père de la famille. Celui-ci lui indique qu’il surveille que les Chinois n’approchent pas et qu’il fait feu chaque fois qu’il en aperçoit un. Capricorne se le tient pour dit et continue sa route. Il arrive à la ferme de la famille Galluron où il est accueilli par le père Simon, son épouse Monique et leur fille Flore. Ils lui offrent le repas du soir et lui proposent de dormir dans la chambre d’ami.
Pendant que Monique nourrit la jeune Flore, Simon et Capricorne font faire un tour dehors à la nuit tombante. Le mari lui explique que ça fait deux ans qu’ils se sont installés là, pour élever sa fille. Il écrit des articles pour des magazines, mais depuis la débâcle, c’est l’incertitude totale. Ici ce serait le calme plat s’il n’y avait pas le vieux Duroux et ses Chinois, quelqu’un qui tire des coups de feu de temps à autre, ayant blessé Christophe Duroux il y a quelques mois. Simon rentre dans la maison, pendant que son invité reste un peu dehors. Il va se promener et arrive non loin de la ferme des Duroux, regardant les fenêtres éclairées par les lumières. Dans sa mansarde éclairée, Christophe discute avec Trocadéro qui lui dit de guérir, et qui lui promet de revenir le lendemain. Capricorne fait demi-tour et retourne à la ferme des Galluron. Dans une autre maison en contrebas de la colline qu’il descend, une vielle femme avec un fichu l’observe dans la pénombre. Le soleil rayonne : Capricorne s’est levé et il s’étire au soleil. Il part se promener. Entendant le bruit d’un moteur, il se retourne et s’écarte vivement, pour se mettre hors de la trajectoire d’un tracteur fonçant à toute allure, conduit par Luc Duroux. Son père Henri Duroux arrive à pied, une fourche sur l’épaule et il salue l’étranger en lui demandant s’il va rester longtemps. Il reprend son chemin pour rentre, ayant entendu l’appel de son épouse Louise.
Dans l’introduction du tome trois de l’intégrale, Antoine Maurel indique que l’auteur n’avait qu’une idée générale du chemin du retour de son héros, après l’écroulement du Concept, et qu’il a découvert la nature de chaque étape au fur et à mesure de leur écriture. Cela ne se ressent pas à la lecture, mis à part le fait qu’il s’agit d’une histoire complète en un tome, un drame au sein de deux familles, sans beaucoup de lien avec les deux cycles précédents. Capricorne évoque la chute du Concept, les conséquences sur la société, et sa volonté de retourner à New York pour retrouver ses deux amis Astor et Ash Gray qui n’apparaissent pas dans ces pages, ni aucun autre personnage récurrent… sauf peut-être une. Il est victime d’un malaise dans un champ, le couchant par terre, peut-être de même nature que d’autres malaises précédents, ou peut-être pas. Le récit s’apparente donc à la présence d’un étranger dans une toute petite communauté, trois personnes pour la famille Galluron, sept pour la famille Duroux, et deux personnages secondaires. Le lecteur relève vite des détails qui clochent, dont sourd un malaise impalpable : cette histoire fantasque de Chinois, la déliquescence de la société en particulier de la technologie après la chute du Concept, Konrad portant son fusil en continu, l’hostilité sourde des Duroux face à l’étranger, Trocadéro un individu anthropomorphe avec une tête de chat. Drame familial ? Drame fantastique ? Secret caché ? Impossible de savoir d’entrée de jeu, mais quelque chose ne va pas.
Le lecteur se retrouve donc la position de Capricorne : arriver dans un endroit inconnu, sans rien en savoir, rencontrer des personnes et établir un contact amical ou désagréable, observer les réactions des uns et des autres pour se faire une idée, essayer de capter une partie des non-dits. Les dessins dégagent une impression générale un peu décalée : une représentation détaillée, mais empreinte d’une forme de légère exagération ou simplification dans les visages, dans les silhouettes, dans les habits. D’un côté, l’artiste réalise des dessins descriptifs plutôt de nature réaliste ; de l’autre un détail par-ci, un autre par-là sortent la description d’un domaine de type photographique : la chevelure et la barbe noir ébène indécoiffable de Capricorne, les traits un peu trop épais pour les rides de Konrad Duroux, la coiffure rigide de Monique, les rayures géométriques de la chemise de Konrad qui ne suivent pas les plis, la tête trop grosse, ses yeux trop ronds et l’absence d’épaule du jeune enfant Momo, ainsi que son pull trop grand et sa salopette trop large, la bouche trop large de Robert, une expression enfantine passant sur le visage d’un adulte, les orthèses trop rudimentaires et sans possibilité de suivre le mouvement de la rotule de Christophe, etc. Ce ne sont que des détails qui n’obèrent en rien la qualité de la narration, toutefois ils attirent assez l’œil pour que la tonalité de la narration ne soit pas celle d’un mélodrame réaliste.
Dans son introduction, Antoine Maurel relève le fait que l’auteur s’est donné des défis de narration visuelle pour les tomes 10 à 14, plus formels que pour les précédents. Le lecteur est à l’aguet, sans trouver de mise en forme unificatrice. Il prend plaisir à trois pages dépourvues de texte, et deux sans phylactères uniquement avec le texte d’une lettre dans des cartouches entre les différentes bandes, sans lien de cause à effet entre les deux. Pour autant, il remarque également plusieurs effets de mise en page taillés sur mesure pour raconter visuellement une séquence, un moment. Cela commence par l’usage de cases de la largeur de la page pour mettre en valeur le paysage ouvert de la campagne. La planche deux commence par une case de la hauteur de la page, avec la petite silhouette de Konrad, deux cinquièmes de la hauteur étant occupés par le sol (terre et arbuste), le reste par le ciel. Le reste de cette planche se compose de douze cases (trois bandes de quatre cases) pour la discussion tendue entre Capricorne et Konrad. Il utilise cette disposition d’une case verticale sur la gauche également planche 23 pour une discussion entre Christophe et Trocadéro, cette fois-ci avec six cases les unes au-dessus des autres sur la partie droite. En planche 4, le lecteur remarque une bande de cinq cases en plan fixe sur la lucarne de la chambre de Christophe, une autre bande en plan fixe de cinq cases en planche 7 mais se terminant avec une sixième en gros plan. En planche 9, un autre plan fixe sur Christophe dans son lit, de trois cases de la largeur de la page parmi d’autres cases. En planche 15, dix cases, dont sept en plan fixe sur Simon recroquevillé dans son bureau.
Il n’y a donc pas une méthode de type découpage systématique dans plusieurs planches, mais une variété qui donne une saveur particulière à chaque séquence. L’artiste n’attire pas l’attention dessus, mais une demi-douzaine de découpages sont assez particuliers pour que le lecteur en ait conscience. Ainsi, en planche 17, il ne peut pas rater l’effet d’une page en gaufrier de trois bandes de trois cases de taille identique alors que Capricorne à terre plié en deux par la douleur se retrouve sous la menace d’un revolver tenu par Momo, un enfant d’une demi-douzaine d’années. Il ressent une forme de léger écho en planche 39 : trois bandes de cinq cases de taille identique, dont deux soudées. Il prend le temps de parcourir les deux pages muettes racontant la promenade nocturne de Monique, avec des cases saisissantes en ombre chinoise, et une chevelure avec un encrage minutieux à la Bernie Wrightson.
Andreas apporte un soin particulier à aller dans un niveau de détails élevé dans ses descriptions : un engin agricole, la forme très particulière du tracteur, les différents bâtiments de la ferme des Duroux, les ustensiles dans la cuisine de cette famille, les affaires de Christophe dans sa chambre, les affaires de Simon dans son bureau, le relief et les végétaux dans la campagne, les ustensiles dans la grande salle de la demeure d’Élisabeth, les tuiles de la toiture des Galluron. Ce niveau de détail donne une consistance concrète à l’histoire, un ancrage réel venant contrebalancer les quelques effets sur les personnages. La nature du récit repose sur la présence de l’étranger subodorant peu à peu des drames sous-jacents. Sa simple présence suffit pour rompre le fragile équilibre comme le battement d’aile de papillon. Capricorne ne joue pas le rôle d’un héros, mais simplement d’un élément extérieur dans une situation en équilibre instable. Le lecteur peut anticiper la nature du malaise et l’individu responsable. Il se retrouve un peu déstabilisé de voir que Capricorne n’a pas beaucoup d’influence sur les événements. Il se prend d‘amitié pour Christophe immobilisé dans son lit depuis sept mois, pour Simon mal dans sa peau sans savoir pourquoi, pour son épouse attentionnée sans être servile. Il prend Momo en pitié malgré sa cruauté envers le chat. Il se rend compte trop tard de l’impossibilité de retour à un état antérieur apaisé.
Après l’histoire de grande ampleur consacrée au Concept, le lecteur se demande bien dans quelle direction va aller la série. Il a une totale confiance dans l’auteur, et il se laisse mener par lui, profitant immédiatement de la narration visuelle variée et précise. Sans attente précise, il regarde Capricorne faire connaissance avec les membres des deux familles, discuter, sans pouvoir imaginer les méandres du drame qu’il ne peut que vaguement ressentir. L’auteur passe donc d’un complot planétaire à un drame familial d’une noirceur que le lecteur ne peut pas anticiper. Il sème des petites phrases révélatrices dans les dialogues qui annoncent les révélations sur le passé, chose dont le lecteur prend conscience après coup. Un épisode en décalage des précédents, une épreuve inattendue pour Capricorne, avec une légère de touche de fantastique qui peut être rationnalisée comme la manifestation de l’inconscient de deux personnages. Une histoire dramatique dont la narration visuelle tient à distance de certains personnages, alors que les situations et les dialogues engendrent l’empathie du lecteur pour d’autres.