Qu’est-ce qu’il nous reste à 50 ans ? Quels souvenirs peut-on garder des décennies écoulées, quels espoirs peut-on avoir pour celles qui restent ?
Yann a 50 ans, et il a perdu son travail, son père et sa mère. Sa femme Florence travaille loin. Les enfants ont pris leurs distances. Il est invité par un de ses vieux amis à occuper une de ses résidences secondaires dans un Jura tout de neige revêtu. C’est beau. Mais Yann peine un peu à retrouver pied, il se demande ce qui lui reste à vivre. Les cartons des affaires de ses parents cohabitent avec ceux de sa précédente vie de famille.
C’est si simple. Mais si évident dans cet album d’Etienne Davodeau, Joub et Christophe Hermenier, tous trois au scénario et qui brasse tellement de sujets. Etienne Davodeau livre un dessin sensible, les couleurs douces de Joub en disent beaucoup sur un âge difficile tandis que les photographies de Christophe Hermenier apportent une nouvelle profondeur. L’avant-propos nous le précise, les trois auteurs du livre se connaissent depuis qu’ils sont étudiants, dans les années 1980. L’année de ses 50 ans, Christophe Hermenier perdit son travail et ses parents. Il y a un vécu et une expérience qui se retrouvent dans les thématiques abordées.
A 50 ans on a vécu, la belle affaire. Il y a probablement de quoi être fier. Mais quand tant d’éléments de notre vie ont été perturbées par le temps et ses conséquences, le futur apparaît délicat. En tout cas difficile à appréhender pour Yann, à la mélancolie torturée, mais aussi pour tant d’autres personnes. Tout le monde ne réagit pas de la même façon, et l’album est riche de nombreux personnages, parfois juste mentionnés, toujours présents sans être là, comme des fantômes.
Il y a eu le temps pour construire de belles relations, sentimentales, familiales et amicales, mais avec des regrets, des amertumes sur ce qu’elles ont pu devenir. Des directions ont été prises qu’il faut parfois accepter. Les éclats de la jeunesse peuvent être merveilleux dans les souvenirs, mais ils sont aussi bien lointains, quand ils ne cachent pas d’autres omissions.
Mais l’un des thèmes les plus bouleversants de cet album se cache dans la simplicité de nos possessions, ces affaires qu’on garde auprès de nous et qui finissent par nous définir. A la mort de ses parents, Christophe Hermenier a photographié les objets de leur quotidien, dans une série de cadrages simples mais qui pourtant sont incroyablement évocateurs. Ces objets racontent une autre époque, ils m’ont rappelé ceux de mes grands-parents, d’autres y verront une plus ou moins lointaine proximité. Ils évoquent des goûts passés de mode, des objets utiles remplacés depuis par d’autres, des babioles, des utilitaires, des décorations et tant d’autres accessoires à la finalité inconnue.
Ces objets ont appartenu à des personnes, ils leur ont servi ou ils sont restés dans des tiroirs, peu importe. Ils dessinent un portrait, forcément incomplet, ils suggèrent un quotidien, des goûts et des gestes disparus avec leurs propriétaires. Cette matière est évocatrice pour Yann, mais elle interroge aussi le lecteur. Nous nous entourons d’objets divers, ils nous servent quotidiennement, ils décorent notre intérieur ou rappellent des souvenirs. Quand il faudra mourir, que dirons ces objets de nous aux personnes qui les recueilleront ? Et qui devra s’occuper de tout notre bazar accumulé pendant toutes nos années ?
Il est rare qu’une telle bande-dessinée m’interroge à ce point. Au moment où j’écris ces lignes je suis encore loin des 50 ans (mais on s’y rapproche). Et pourtant cet album si personnel pour ses auteurs tend aussi à l’universel, ses thèmes se partagent et interrogent. De plus il aborde ses thématiques avec une grande finesse, une certaine mélancolie mais aussi une douce tendresse. Il est forgé dans ces élans du coeur qui se propagent si facilement parce qu’ils disent beaucoup sur nous tous.