De loin, la série "Pour l'empire", ressemble à une énième production de la collection "Poisson Pilote", impression sans doute induite par le trait - délicat et légèrement tremblant - de Bastien Vivès, qui n'est pas sans évoquer celui des ténors de ce label (Christophe Blain, Johan Sfar, Kerascoet et j'en passe...).
Après examen plus attentif, et donc, lecture des deux premiers tomes, le sentiment est tout autre. Certes, Vivès partage avec ses confrères le sens du détail et la maîtrise de l'expressivité des personnages (postures, visages). Il y ajoute cependant un sens du cadrage cinématographique moins répandu chez ces auteurs, et qui, loin d'être motivé par des pures considérations esthétiques (comme chez Canales et Guarnido, par exemple) assoit le rythme de la narration.
Mais la réelle singularité de l'album, c'est le choix osé de la mise en couleurs dans des tons d'ocre, et de terre cuite, et l'utilisation réussie de teintes oxydées qui évoquent les métaux de l'époque - le brun-rouille pour le fer, le vert pour le bronze - et suggèrent une épopée racontée depuis les premiers âges, sur des plaques de métal ayant traversé le temps.
Ce choix graphique renforce le sentiment d'assister à une Odyssée alternative - avec son lot de mondes inconnus, et de peuplades barbares - située dans un Empire, qui sans être cité, évoque Rome par bien des aspects (armes, tenues, formations militaires... encore que les grades de capitaine, lieutenant et caporal apparaissent quelque peu anachroniques).
Du récit homérique originel, ces deux premiers albums conservent la fascinante fluidité, les Héros se distinguant de la plèbe par leurs talents ("Le Prince des Archers") comme par leurs faiblesses, et voyant dans leur mission la réalisation d'un Destin hors du commun ("Femelles, voyez comme l'homme le plus vigoureux de l'empire relève votre défi").
Reste encore à savoir, si de ce prestigieux ancêtre, le dernier volet de cette trilogie héritera également de l'ampleur et du souffle lyrique. Suspendons donc jusqu'à sa parution prochaine notre jugement définitif, et pourquoi pas, l'attribution d'une note plus généreuse.
D'ici là, tel l'esclave à l'Imperator recevant les louanges, enjoignons les auteurs à la plus grande attention, et rappelons leur le motto du chroniqueur de SensCritique :
"Cave ne cadas ! : "Prends-garde à la chute ! "