Certain(e)s auteur(e)s ont une telle maîtrise de leur art qu'ils arrivent à expérimenter tout en alliant le beau, l’intéressant et la pertinence. Avec « Les intrus », Adrian Tomine nous emporte dans une peinture douce-amère de personnages perdues dans la société occidentale. Au fil de 6 histoires n'ayant au premier regard pas de lien entre elles, Les intrus dresse un portrait drôle, cassant et fascinant de l'homme « moderne ». (Le recueil porte en français le titre de la dernière histoire « Les intrus »).
Les histoires n'ont pas de lien entre elles au niveau du scénario, des lieux où des personnages. Pourtant, la question de la reconnaissance des autres est présente tout le long de la lecture. La recherche de la reconnaissance des pairs ce décline sous différents moyens selon les histoires : la création artistique, l'assurance qu'on est unique, l'amour, la parentalité, ou encore l'humour. Cette reconnaissance n'est jamais celle que l'on souhaite et s'accompagne souvent par un sentiment de solitude lié au fait que nous sommes des êtres incompris.
Les personnages donnent l'impression de ne pas arriver à communiquer avec les autres, même et surtout au sein d'une famille. Une solitude remplie de détresse se dégage d'eux. On pourrait penser que « Les intrus » du titre français fait référence à la manière dont nous sommes tous des intrus pour les autres, même nos proches.
Malgré des thématiques communes, chaque histoire est bien distincte des autres. Un des gros point fort de l'auteur est de réussir à créer rapidement des personnages via des dialogues fins et réalistes mais aussi grâce à la précision de son trait quand il s'agit de rendre ses personnages expressifs.
On pourrait craindre que les histoires ne soient pas assez marquante au vu de leur faible longueur.. pourtant ce n'est pas le cas, le contexte est composé en quelques cases, tout est fluides jusqu'à un final aussi surprenant qu'évident. Adrian Tomine est passé maître dans l'art de créer des minis mondes/histoires qui sont immédiatement prenant et marquant tout en laissant vivre et grandir ses personnages une fois l'histoire finie.
Si visuellement, on pense beaucoup au travail de Chris Ware et Daniel Clowes pour les pages en couleur, le dessin de Tomine est reconnaissable au premiers coup d’œil tant son trait fin et aéré possède une finesse du regard et de l’expression assez unique. La mise en page se renouvelle constamment dans ce livre. On peux passer du noir et blanc à la couleur au sein d'une histoire ( Hortisculpture). La colorisation ou le noir et blanc change entre chaque histoire tout comme le rythme et le nombre de cases par pages. Une histoire est même raconté par une narration sous forme de « carte postale ». Le fait que Adrian Tomine expérimente beaucoup dans cette BD ne l'a rends pas pour autant indigeste et brouillonne. Il arrive à transformer cet éclectisme en force en adaptant continuellement la narration au propos. Chaque histoire dégage une ambiance unique, où le fonds et la forme se marient avec soin.
Adrian Tomine repousse les possibilités de la bande dessinée tout en gardant un ton propre à lui. Les intrus est une lecture forte qui ne m'a pas laisser indifférent. Je suis définitivement conquis par ce grand portraitiste contemporain.