Il s'agit du deuxième tome des aventures de Judge Dredd publié par l'éditeur Delirium, après Judge Dredd : origines. Il contient 6 histoires complètes, ayant pour point commun le thème de la famille, et plus précisément celle de Judge Dredd pour 5 d'entre elles. Tous les scénarios sont de John Wagner. Toutes ces histoires sont en couleurs. La traduction a été réalisée par Philippe Touboul.


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- La petite amie (2002, 12 pages, Judge Dredd Megazine 4-15, dessins de Carlos Ezquerra) - À Mega-City One, Monsieur et Madame Murchison ont décidé d'offrir un robot de compagnie à leur fils Rodney. Il choisit le modèle Trudi, avec modulateur de personnalité. Il en tombe follement amoureux, mais son père Elroy décide de tester lui aussi les compétences sexuelles de Trudi.


Alors que le titre de ce volume annonce des histoires liées par le thème de la famille (celle de Dredd), il commence par une histoire sans lien véritable avec les autres si ce n'est la présence de Joe Dredd pour mener l'intervention de la police. John Wagner raconte une histoire bien tordue dont il a le secret. Au cours de ces 12 pages, il réussit à faire exister Rodney Murchison, à lui donner un vrai caractère et à faire ressentir son amour pour Trudi. Dedd intervient avec son absence d'empathie habituelle, même s'il fait preuve d'un soupçon de clémence dans la sentence, en soulignant les troubles de l'ordre occasionnés par l'amour.


Carlos Ezquerra réalise des dessins descriptifs comme à son habitude, avec un bon niveau de détails, et ces petits traits secs qui viennent marquer les individus, les rendre un peu rugueux. Le lecteur retrouve les caractéristiques de Mega-City One. Il sourit en remarquant quelques expressions particulièrement bien croquées : la concupiscence sans filtre sur le visage de Rodney, le regard lubrique d'Elroy face à Trudi, le dégout de la mère de Trudy obligée de faire ce genre de cadeau à son fils.


Le lecteur apprécie ce récit rapide, sarcastique et moqueur, dans lequel Judge Dredd sert à en apporter le dénouement. Il se dit que le responsable de publication a dû l'inclure comme une forme de prologue rappelant comment opère Judge Dredd, montrant son degré d'empathie proche de zéro, et son approche très limitée des sentiments. 7 étoiles.


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- Cadets de la lignée (2000, 18 pages, progs 1186 à 1188, dessins de Simon Fraser) - Une nouvelle recrue se présente à Judge Dredd pour être évaluée. Il s'agit d'un jeune clone de Dredd, appelé lui aussi Dredd, les Juges n'ayant pas estimé nécessaire de lui donner un prénom. Les 2 Dredd partent en patrouille et le clone repère un suspect dont il pense qu'il a participé à un kidnapping. Pendant qu'ils effectuent la filature, le clone interroge Joe Dredd sur Rico Dredd, un clone du Juge-en-chef Eustace Fargo, comme Joe Dredd.


Avec ce deuxième récit, le lecteur éprouve l'impression de plus rentrer dans le cœur du sujet. Soit il découvre l'existence de cette lignée de clones dérivés d'Eustace Fargo ou Joe Dredd, et alors il apprécie cette leçon d'histoire de la lignée en trouvant que l'enquête menée par le clone est superfétatoire et distrait du récit principal. Soit il connaît déjà cette particularité, et alors il apprécie le rappel, et peut aussi se consacrer à l'enquête du clone.


Les dessins sont réalisés par Simon Fraser qui donne l'impression d'être fortement influencés par les comics américains, avec une mise en page un peu tassée, une mise en scène un peu exagérée et des acteurs un peu excités. Ses dessins donnent un sentiment de décors de pacotille et de mauvais acteurs, rendant la narration visuelle artificielle.


Malgré les dessins, le lecteur apprécie l'historique de la lignée, en doutant quand même du bien-fondé de l'avoir associé à une enquête qui semble plaquée là pour remplir le quota d'action. 4 étoiles pour l'histoire, 7 étoiles pour le rappel.


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- Poste de justice (2000, 48 pages, progs 1215 à 1222, dessins de Carlos Ezquerra) - Le jeune clone a pris le nom de Rico et il est affecté au groupe tactique 9 de la section B, en même temps que le juge Sturdevant. C'est la juge Egan qui est affectée comme coéquipière à Rico. Rapidement, ce dernier s'attire l'inimitié de ses coéquipiers en se montrant trop à cheval sur le règlement, mais aussi trop efficace. Il s'en ouvre pour partie au chef de groupe Cone, et pour partie à Dredd. Cela ne va pas améliorer le ressenti de ses collègues. En outre, il est vraisemblable qu'il y ait un traître dans le commissariat qui avertisse à l'avance un groupe de trafiquants des descentes de police.


On prend les mêmes et on recommence, comme s'il agissait d'un univers partagé dans lequel les responsables éditoriaux commandent à leurs employés de décliner un personnage phare en plusieurs versions, au hasard Batman en Batwoman et une ribambelle de Robin, ou Spider-Man en clones et Spider-Woman. À ceci près quand même que cette histoire est réalisée par John Wagner & Carlos Ezquerra, c’est-à-dire les créateurs garants de l'orthodoxie de Judge Dredd depuis des années.


De fait, le lecteur se prend tout de suite d'affection pour Rico. Les auteurs le montrent comme un individu jeune et pas très sûr de la manière de s'y prendre, mais déjà beaucoup plus compétent que ses collègues. Rico fait preuve du courage et de la volonté de bien faire propres à la jeunesse, avec un respect de l'expérience pour les personnes plus âgées que lui. Il fait preuve de la même intolérance pour toute forme de compromission que Judge Dredd, et de la même foi aveugle dans le règlement (la Loi). Le résultat ne se fait pas attendre. Il obtient de meilleurs résultats du fait de sa réelle compétence, et l'inimitié de ses collègues s'exprime de manière explicite, soit parce qu'il a relevé leurs manquements, soit parce que ses résultats sont meilleurs que les leurs. John Wagner dresse un fin portrait psychologique d'un individu trop compétent, trop psychorigide, et à la recherche d'un mentor capable de l'orienter sans le brider.


En plus d'un portrait psychologique tout en nuance, John Wagner raconte une histoire, sur la base d'une intrigue à la forme éprouvée, celle de la vie dans un commissariat, forme développée et consacrée par Ed McBain (voir 225805138X 87ème district). Il y a donc les interventions de tous les jours, les interactions entre agents (ici les juges), et les affaires au long cours dont cette histoire d'indic au sein même du commissariat. La fin apporte une résolution à tous les fils narratifs, tout en laissant une question en suspens. Chaque lieu influe sur le comportement des personnages, et les interactions entre juges ont des conséquences directes sur le déroulement de l'histoire. Le scénariste ne se contente pas de plaquer une intrigue générique sur un décor de pacotille, il fait en sorte que les environnements et les règles de la société aient une incidence sur les individus qui la composent. En conteur chevronné, John Wagner ménage également quelques surprises mémorables, à commencer par le secret des plus inattendus du juge McCaw.


Carlos Ezquerra maîtrise de bout en bout l'environnement de Mega-City One, sachant placer des éléments de décors aux bons moments pour attester des spécificités de cette mégapole hors de contrôle. Il dessine les habits des juges comme de véritables uniformes, un peu baroques, mais fonctionnels (ce qui n'est si évident que ça du fait des épaulettes démesurées). Les séquences d'action sont sèches et efficaces, sans exagération dramatique, permettant de les prendre au premier degré, sans qu'elles ne soient réduites à des passages obligées pour remplir le quota de pages d'action. Il dessine Rico comme le clone parfait de Judge Dredd, dans son apparence physique. Par contre, il laisse apparaître des expressions un peu plus variées sur son visage, du fait de son expérience moins extensive. Le lecteur un peu exigeant peut observer que l'artiste emploie souvent les mêmes cadrages et angles de vue pour les scènes de dialogues, mais en conservant assez d'informations visuelles pour ne pas tomber dans la facilité des suites de cases avec uniquement des têtes en train de parler.


Ce troisième récit constitue un bon polar, doublé d'une fine étude psychologique, dans un environnement de science-fiction consistant et cohérent. 10 étoiles.


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- Adieu Rowdy (2002, 12 pages, prog 1280, dessins de Carlos Ezquerra) - Judge Dredd a décidé de quitter pour de bon son appartement dans le bloc Rowdy et de le laisser à Rico. Pour leur plus grand désarroi, les voisins viennent dire au revoir à Dredd.


Après le récit plus grave de Poste de Justice, John Wagner propose un récit plus court qui commence comme une comédie, en particulier avec le comportement des voisins, pas très sûrs de l'attitude à adopter face à Dredd et à Rico. Le lecteur comprend qu'il s'agit également d'établir un point de continuité pour Rico, à savoir qu'il prend un appartement en dehors de l'académie et du Hall de Justice, ce qui lui assure une autonomie suffisante pour avoir ses propres aventures (si les responsables éditoriaux estiment qu'elles puissent être viables). Le scénariste ne sacrifie pas ces 12 pages à un récit simplement utilitaire. Il montre le gouffre existant entre les craintes et les exigences des civils, et la vie de sacrifice des juges, ainsi que le fait qu'ils sont une cible pour les mécontents de tout poil.


Comme à son habitude, Carlos Ezquerra a croqué des dégaines improbables pour les civils, avec une mention spéciale pour la quinquagénaire coincée, aux cheveux bleus. Il dessine une séquence d'action de 3 pages, sans phylactère, à la narration impeccable, avec une tension palpable. Comme dans l'histoire précédente, les 2 Dredd sont des copies conformes, au stoïcisme imposant.


Cet interlude se révèle bien plus consistant que prévu, avec à nouveau un amour des auteurs pour leurs personnages qui transparaît dans l'attention qu'ils leur portent, et leur capacité à faire ressentir leur état d'esprit. 9 étoiles.


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- Le sang et le devoir (2002, 12 pages, progs 1300 & 1301, dessins de Colin Macneil) - Pour la première fois depuis des années, Joe Dredd rend visite à Vienna. C'est l'occasion pour elle d'en apprendre plus sur les circonstances de la mort de son père Rico, de sa conception, du sort de sa mère Fabienne Brown. Elle propose à Dredd qu'il revienne assister à sa prestation dans le premier rôle de la pièce de théâtre qu'elle doit interpréter le lendemain.


Au fil des années (car Dredd vieillit en temps réel, mais avec les apports d'une médecine de science-fiction qui ralentit drastiquement les effets de l'âge), Joe Dredd a mis un peu d'eau dans son vin et accepte quelques entorses à sa discipline rigoureuse. John Wagner introduit ici un autre membre inattendu de la famille Fargo/Dredd. Par comparaison avec le récit introduisant Rico junior, celui-ci est beaucoup mieux construit et les alternances entre passé et présent se font naturellement. Pour une fois, Dredd ne tient pas le mauvais rôle, puisque la citoyenne Vienna accepte tout à fait le système des juges, appréciant la sécurité qui en découle, ou tout du moins n'ayant pas eu à souffrir de cette forme d'oppression. Comme à son habitude, le scénariste sait camper des personnages en peu de pages (l'irrésistible madame Pasternak) et faire ressortir leur caractère ainsi que leur état d'esprit.


Le lecteur retrouve avec une vraie gourmandise le tandem de John Wagner & Colin Macneil, auteurs d'une des meilleures histoires de Dredd de tous les temps America. L'artiste travaille en peinture directe, en conservant le détourage à l'encre d'une partie des formes. Il effectue un travail conceptuel sur les couleurs, en limitant sa palette. Il réalise moins d'images iconiques que dans America, tout en conservant l'allure psychorigide de Dredd, et en immergeant le lecteur dans une ambiance dense.


Ce nouvel interlude s'inscrit parfaitement dans le thème de ce recueil, avec l'introduction d'un nouveau membre de la famille Dredd, très différent des autres, beaucoup plus chaleureux. Le récit est un peu court pour donner la dimension nécessaire au drame, mais très bien réalisé. 8 étoiles.


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- Frères de sang (2004, 24 pages, progs 1378 à 1381, dessins de Carlos Ezquerra) - Les résultats du cadet Dolman se dégradent de mois en mois à l'Académie de la Loi. Son instructeur demande à Rico de l'emmener pour une évaluation sur le terrain. Dolman est également issu d'un clonage de Dredd, mais il a demandé à quitter l'Académie. Il va avoir l'occasion de rencontrer Vienna.


On prend les mêmes et on recommence ? Un nouveau cadet (casque blanc) cloné à partir de Dredd, confié à Rico plutôt qu'à Dredd, comme une copie un peu moins nette. Le lecteur peut y voir le petit-fils de Joe Dredd. Mais c'est un peu réducteur. Dolman est tout aussi compétent et prometteur que les autres clones. Par contre, il se pose plus de questions que ces prédécesseurs, tout en étant tout aussi psychorigide. John Wagner ne clone pas ses récits précédents, il écrit une variation sur le thème, originale et inattendue. Il sait à nouveau ménager des moments d'émotion complexes et délicats, quand Dolman retrouve Rico, quand il se retrouve en présence de Joe Dredd, quand il rend visite à Vienna. Dolman est plus jeune que ne l'était Rico quand il a été évalué par Dredd, et l'auteur sait aussi faire passer cette sensibilité différente.


Comme d'habitude, les récits de John Wagner ne se limitent pas à une seule dimension. L'existence de Dolman oblige Rico, puis Dredd à prendre la mesure de la manière dont le système des Juges capitalise sur leur meilleur élément, en le dupliquant en tant que de besoin. Ils se rendent compte qu'ils ne sont qu'un outil interchangeable avec leurs clones, un bon soldat à reproduire à l'unité.


Arrivé à ce stade-là du recueil, soit le lecteur a pris en grippe les tics graphiques de Carlos Ezquerra et il lui faut les supporter pendant 24 pages de plus. Soit il s'est habitué aux petits traits secs, aux cadrages serrés sur les visages, et alors il replonge dans une ambiance qui lui est familière. Dans ces épisodes, il apprécie particulièrement la mise en scène de la solitude de Dolman dans le dortoir, la façon dont il suit Rico comme son grand frère, l'aspect massif de sa moto Lawmaster, la gentillesse qui s'exprime sur le visage de Vienna quand elle parle à Dolman, la présence incroyable de Judge Dredd en train de beugler des ordres pour se faire entendre par-dessus le bruit de la bataille, etc.


Loin de reproduire le schéma de l'histoire de Rico, John Wagner & Carlos Ezquerra prouvent que la saveur s'exprime dans les nuances. Ils introduisent un nouveau clone à la personnalité propre, sans se soucier de son potentiel marketing, plus attachés à donner vie à un individu confronté à son humanité, qu'à décliner ad nauseam une recette toute faite. 10 étoiles.

Presence
9
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le 28 août 2019

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