Le joli néologisme du titre reflète à merveille ce conte où il est question d’oiseaux sculptés dans le bois. On connaissait le talent de conteur de Hubert, scénariste prolifique dont on ne citera que la fabuleuse saga gothique des « Ogres-Dieux ». Son talent, il le met cette fois au service de Gaëlle Hersant, dessinatrice remarquée en 2015 pour sa biographie sur Marie-Angélique Leblanc, « Sauvage ».
« Le Boiseleur » possède tous les attraits des contes de notre enfance, ne serait-ce que parce qu’il emprunte à la magie de « Pinocchio », Illian évoquant de loin le personnage de Geppetto. Le livre bénéficie par ailleurs d’une narration simple avec des thématiques très contemporaines. Sans vouloir interpréter à outrance les propos de l’auteur, le jeune ouvrier Illian ne symbolise-t-il pas d’une certaine manière tous les enfants des pays pauvres exploités pour la fabrication des jouets à destination des Occidentaux ? Le même Illian qui ose faire la cour à la fille de son patron, n’enfreint-il pas les règles implicites voulues par les classes dirigeantes, consistant à maintenir les couches populaires dans leurs conditions misérables, à les empêcher de s’élever au dessus du plafond de verre séparant les dominants des dominés ?… Le don du jeune garçon pour sculpter les oiseaux est à ce titre on ne peut plus symbolique…
Cette thématique sociale vieille comme le monde se double d’une autre, plus sociétale, qui aurait à voir avec nos comportements consuméristes aux effets pervers. Ici, c’est le don extraordinaire d’Illian qui, à cause du panurgisme des habitants de Sobibor, va devenir une malédiction, entraînant la disparition des vrais oiseaux de l’île, et avec eux leurs chants…
Le bel univers graphique de Gaëlle Hersent est loin d’être étranger au charme très particulier de ce récit. Comme si les oiseaux l’avaient inspirée, son trait semble se déployer à la manière du long plumage de ces merveilleuses créatures, pour la plupart exotiques, si bien qu’on aurait presque la sensation de les entendre agiter leurs ailes ou jaser leurs trilles harmonieuses. Des chants d’oiseaux qui persistent dans votre tête et vos oreilles longtemps après avoir refermé le livre… Il y a décidément de la magie dans ce « Boiseleur »…
Non dénué d’un certain humour, le premier tome de ce diptyque se referme sur une note inattendue pleine de poésie, suggérant d’autres belles séquences à venir. Publiée dans la collection « Métamorphose », l’ouvrage bénéficie, faut-il le préciser, d’une magnifique présentation.