Le personnage numéro « 214 » est assis devant un
bureau rectangulaire. Au dessus de sa tête, une lumière
blafarde. Devant lui : un homme monstrueux,
énorme, terrifiant au visage buriné et taillé à la serpe
auquel on imagine une voix caverneuse directement
sortie des entrailles de la terre. « 214 » est ainsi
obligé de raconter sa vie à ce personnage pour le
moins inquiétant. Le but ? Obtenir une nouvelle vie.
Le point de départ de ce récit est intéressant car on
ne sait pas où celui-ci nous mènera. La trame narrative
se construit au fur et à mesure que « 214 »
conte son parcours. Nous voyageons ainsi en compagnie
d’un personnage fuyant des combats et protégeant
sa soeur au sein d’un monde aussi merveilleux
que dangereux. Contraint de quitter sa terre
vers un ailleurs meilleur, c’est tout un parcours
initiatique auquel nous sommes invités. Au lecteur
de se laisser ainsi entrainer dans cette fable magique
à la poésie certaine. Parcours initiatique et récit
onirique d’une quête vers un absolu quasi mystique,
« Les ombres » a quelque chose de puissamment
envoutant et en même temps, nous ne pouvons
être dupes. L’histoire, commencée depuis
l’intériorité du personnage principal, s’élargie vers
une conscience plus large de la réalité sociale des
protagonistes. Plus le récit avance et plus la compréhension
de ce qui se déroule sous nos yeux se fait
grande. Sans livrer le punch final d’un récit allant
crescendo, on ne dira rien des rapprochements à
faire avec certains faits d’actualité récents.
Véritable réflexion intelligente sur l’exil, nos motivations
à vivre, notre rapport à la patrie, aux liens
familiaux à notre raison d’être et à quoi on sert sur
cette terre. « Les ombres » est une BD forte dans
laquelle s’entrechoque systématiquement deux opposés
(La vie/la mort, le passé/le futur, amour/haine,
ici/ailleurs…). Ces deux opposés se réunissant ainsi
dans une oeuvre magnifique, servie par des
aquarelles et des crayonnés très imaginatif, dont la
couleur change en fonction du lieu ou de la psychologie
des personnages.
Initialement écrite comme une pièce de théâtre, la
Bd a permis (selon l’auteur lui-même) d’aller plus
loin dans l’exploration d’un moment fondamental
dans la vie du scénariste. Un moment qui permet
d’utiliser la création, le rêve et l’imaginaire comme
outil de questionnement et de réinterprétation de
notre monde. La BD, c’est aussi à ça que ça sert.