Quand le passé cogne à la porte avec un flingue et un carnet de vengeance

Avec Les Phalanges de l'Ordre noir (1979), Pierre Christin et Enki Bilal nous embarquent dans un polar politique sombre et glaçant, où les fantômes de la guerre civile espagnole se transforment en une danse macabre à travers l’Europe contemporaine. C’est une œuvre aussi puissante qu’inquiétante, où l’idéalisme de la jeunesse se heurte à la dureté du monde, et où chaque case semble respirer le poids du passé.


L’intrigue démarre sur un ton crépusculaire : un vieil anarchiste, Javier, décide de rassembler ses anciens camarades pour régler de vieux comptes avec les membres d’un groupuscule fasciste qui refait surface. Le problème ? Ces amis de lutte ne sont plus tout jeunes, et leur croisade ressemble autant à un acte de justice qu’à un ultime baroud d’honneur. Ce qui s’annonce comme une quête de vengeance devient rapidement une réflexion sur l’engagement, la mémoire, et les compromis imposés par le temps.


Les personnages sont le point fort de cet album. Chaque membre du groupe de Javier est un fragment d’idéalisme brisé : un ex-résistant devenu bureaucrate, un médecin désabusé, un professeur en quête de sens… Chacun porte les cicatrices de la guerre et des décennies qui ont suivi. Leur quête commune n’est pas juste une vengeance, c’est aussi une tentative désespérée de retrouver une part d’eux-mêmes. Leurs interactions, souvent empreintes de mélancolie, donnent au récit une profondeur humaine qui transcende la simple chasse à l’homme.


Visuellement, Enki Bilal est en pleine maîtrise de son art. Son trait sombre et précis capture l’atmosphère lourde et oppressante de cette Europe en ruines morales. Les visages marqués, les décors froids, et les couleurs désaturées plongent le lecteur dans une ambiance à la fois réaliste et légèrement onirique, où chaque détail semble chargé de symbolisme. Les scènes de violence, brèves mais percutantes, sont mises en contraste avec des moments de calme presque contemplatifs, renforçant l’impact émotionnel de l’ensemble.


Pierre Christin, quant à lui, livre un scénario d’une grande finesse. Loin d’un simple récit manichéen, Les Phalanges de l'Ordre noir explore les zones grises de l’engagement et de la vengeance. Les dialogues sont ciselés, mêlant réflexion politique et émotion brute. Chaque chapitre pousse le lecteur à s’interroger : jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause ? À quel point le passé détermine-t-il le présent ? Et, surtout, que reste-t-il des idéaux après des décennies de compromis ?


Cependant, cette richesse thématique peut aussi être un défi. Le rythme est volontairement lent, presque contemplatif par moments, ce qui pourrait rebuter ceux qui attendent une intrigue purement axée sur l’action. Mais c’est précisément ce rythme qui permet de s’imprégner de l’atmosphère et de la profondeur des personnages.


En résumé, Les Phalanges de l'Ordre noir est une œuvre magistrale qui allie récit politique, réflexion historique, et drame humain. Christin et Bilal signent ici un album d’une puissance rare, où chaque page invite à la fois à la contemplation et à la réflexion. Une plongée dans les ténèbres du passé, où les idéaux et les regrets s’affrontent dans un duel sans vainqueur. Une œuvre à lire, à méditer, et à laisser résonner longtemps après avoir refermé le livre.

CinephageAiguise
8

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il y a 10 heures

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