Non, le pizzly qui donne son nom au dernier livre de Jérémie Moreau n’est pas le concept marketing d’une enseigne tendance dans les quartiers chics de Paname. Avec la fonte des glaces, les ours polaire et les grizzlys partagent désormais le même milieu de vie. Le pizzly est donc le fruit d’un métissage qui n’aurait jamais eu lieu sans le dérèglement climatique. Depuis Paris où il mène un train de vie infernal de chauffeur Uber, Nathan ignore tout de ces transformations en cours à l’autre bout de la planète. Celle qu’il vit est, à sa manière, tout aussi brutale : incapable de se repérer sans son GPS, il ressent un grand vertige et envoie dans le décor sa BMW à crédit. Quitte à tout perdre, Nathan décide d’emmener ses deux jeunes frère et sœur au fin fond de de l’Alaska afin de renouer avec une nature qui a elle aussi perdu sa boussole. Les oies partent avec des mois d’avance, les inondations engloutissent les forêts quand les méga-feux ne les réduisent pas en cendres. Au milieu d’un tel marasme, la vieille amérindienne Annie aide ces trois citadins accros aux écrans à se réadapter au rythme des saisons et de la chasse au caribou.
Deux ans après son grand entretien dans Les Cahiers de la BD à l’occasion de la sortie du Discours de la Panthère (éd. 2024), Jérémie Moreau nous revient avec un nouvel album chez Delcourt. Bien qu’il ai renoué avec son éditeur de toujours, il n’a pas renié la transformation de son style inspiré par le milieu alternatif du spin-off d’Angoulême friand de risographie. Le dessinateur reprend le grain si particulier de cette technique et ses couleurs fluos, n’hésitant pas à composer des cases lorgnant vers l’abstraction. Tous ces artifices l’amènent paradoxalement à représenter avec toujours plus de sensibilité la nature qu’il célébrait déjà dans ses précédents albums Grimr et Penss. Dans ce dernier opus, il prolonge aussi sa réflexion écologique avec une hypothèse optimiste inspirée par le philosophe Baptiste Morizot. Plutôt que de voir dans les ravages de l’anthropocène les prémices de la fin du monde, il invite le lecteur à rompre avec le nihilisme ambiant pour redonner une place aux mythes animistes et à l’espoir d’une harmonie possible avec la nature.
On a aimé : Plus que jamais, Jérémie Moreau fait la part belle aux séquences muettes et aux grandes images s’étendant sur une page entière, parfois deux. Ces nombreux moments de respiration lui permettent de multiplier les expérimentations graphiques, tout en déployant les paysages monumentaux d’Alaska.
On a moins aimé : Tout le récit repose sur un postulat qui laisse quelque peu incrédule : comment trois frères et sœurs habitant un appartement parisien peuvent-ils décider de tout plaquer du jour au lendemain pour habiter au fin fond de l’Alaska avec une vieille dame dont ils ne savent rien ?
Les Pizzlys
Jérémie Moreau
Delcourt
200 pages
29,95 €
[Cette critique devait initialement paraître dans le numéro 21 des Cahiers de la BD. Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, je la publie ici].