Il ne s’agit pas d’être laxistes Zach. Mais d’être plus dissuasifs que répressifs.

Ce tome est le premier d’une pentalogie. Sa première édition date de 2011. Il a été réalisé par Luc Brunschwig pour le scénario, et par Roberto Ricci pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-huit pages de bande dessinée en couleurs. La série a bénéficié d’une réédition en intégrale en 2023, mais d’un format plus petit.


20 décembre 2058, des libellules volètent dans un rayon de lumière et Zachary Buzz se réveille, ou plutôt se lève. Il s’agit d’un solide gaillard : le jeune homme répond à une voix désincarnée constatant qu’il n’a pas dormi. Il répond à haute voix qu’il n’a pas pu, pas réussi. Alors qu’il se lève et s’étire, la voix désincarnée lui demande s’il regrette son choix. Zach répond à voix haute que non, c’est juste qu’il n’a connu que la ferme de ses parents. Ce qui va venir est autre chose, ce n’était carrément pas prévu au programme de son père ou de sa mère. Ça lui fait peur, autant que ça l’excite. Il s’apprête à montrer dans le wagon qui s’est arrêté, quand une autre voix l’interpelle : sa petite sœur Julia arrive en trombe sur un hoverboard, furieuse. Elle lui balance une figurine à l’effigie d’Overtime, un personnage de dessin animé, pour qu’il n’oublie jamais à cause de qui il a quitté la demeure familiale. Zachary prend place sur une banquette du train, tenant la figurine entre ses mains. Celle-ci lui parle comme s’il s’agissait d’un adulte assis à ses côtés, pour le détromper : sa sœur se trompe, il n’a pas besoin de cette poupée pour se rappeler à cause de qui il s’en va aujourd’hui. Alors que la destination se rapproche, une animatrice avec un décolleté ahurissant se met à parler sur les écrans : elle adresse son bonjour à ceux qui viendraient de les rejoindre à bord du tub à destination de Monplaisir.


Un humanoïde avec une tête de lapin interrompt la jeune femme. Springy Fool présente Monplaisir. Plus qu’un complexe de loisirs… Une cité tentaculaire vouée à toutes les formes de plaisir. Sur 300.000 hectares, un choix sans limites et deux niveaux d’accès. Pour ses 18 millions de visiteurs quotidiens ! Le dernier endroit où ça rigole dans la galaxie !!! Le train entre en gare, et sur le quai, Zachary Buzz est accueilli par Membertou, son coach. Celui-ci lui demande de ne pas l’appeler monsieur : il est son coach et il le sera pendant les six prochains mois. Il avait oublié à quel point Zachary est grand, et dense aussi. Dense, un mot barbare qui colle parfaitement avec son élève. Ce n’est pas un problème : la plupart des recrues ont grandi en apesanteur, leurs squelettes en sont fragilisés et leurs muscles bien moins toniques que ceux de Zach. Rien ne vaut un élevage au bon air des campagnes. Le coach le remercie d’avoir postulé à l’académie de police. Les cours commencent dans moins de 24 heures. Ça laisse un peu de temps à Zach pour prendre ses marques. Dans le même temps, les écrans diffusent un message à l’attention des vacanciers : ils sont invités à se diriger vers la costumerie. Ils pourront y échanger leurs vêtements civils contre l’un des 400.000 déguisements que leur hôte Springy Fool met gratuitement à leur disposition.


À l’évidence, la couverture annonce une série de science-fiction, vraisemblablement se déroulant dans un milieu urbain à en croire le titre. Le texte de la quatrième de couverture en dit un peu plus, un parc de loisir géré par une intelligence artificielle dénommée A.L.I.C.E., et il explicite que le terme Urban renvoie aux Urban Interceptors, les policiers de Monplaisir, unité que Zachary Buzz va intégrer en temps qu’élève. Le récit se déroule en deux temps, tout d’abord l’arrivée de Buzz dans cette ville le 20 décembre 2058, puis dans un second temps un assassinat et l’enquête qui s’en suit le 24 juin 2059, c’est-à-dire juste vers la fin de la période six mois passés avec le coach. Le lecteur est amené à suivre Zachary à ces deux moments, puis un autre jeune policier, Isham El Ghellab, qui a grandi dans l’espace, et qui doit mener à bien sa première mission, à savoir arrêter l’assassin qui a été repéré et dont la localisation au sein de Monplaisir est connue. Il croise également Ahn Loon Bangé, enquêteur, le temps de trois pages, la jeune femme Ishrat hôtesse à tout faire dans l’immeuble où loge Buzz, un enfant Niels Colton, également fan du dessin animé des Overtime, les justiciers du temps, et Antiochus Ebrahimi, l’assassin. Le titre de ce premier tome Les règles du jeu, et le début d’une série induisent que les auteurs commencent par présenter l’environnement dans lequel se déroule la série.


Au départ, le lecteur ressent comme une forme de dissonance visuelle : d’un côté, il voit des dessins descriptifs détaillés, de l’autre il éprouve parfois l’impression d’une forme d’imprécision dans certains endroits d’une case ou d’une autre. L’horizon d’attente du lecteur peut comprendre une exigence de représentation consistante des environnements dans une histoire de science-fiction. Sur ce plan-là, il est comblé, l’artiste s’investissant pour donner à voir les environnements dans lesquels évoluent les personnages. Le train sur monorail est visiblement d’un modèle futuriste, avec un profil spécifique. L’arrivée vers Monplaisir montre des bâtiments faisant penser à une nature industrielle, avec des poutrelles métalliques présentes régulièrement. L’architecture intérieure de la gare évoque plutôt la fin du dix-neuvième siècle. Certains buildings rappellent ceux de New York, début du vingtième siècle. Quelques pages plus loin, le lecteur apprécie la présence d’une statue d’une déesse à six bras évoquant Kali sur la façade d’un immeuble à la hauteur du quatrième étage. Par contraste, la salle d’entraînement des élèves policiers ressort comme étant froide et aseptisée, avec des dimensions peu communes.


Dans le même temps, le lecteur ressent comme un flou dans certains arrière-plans. Il lui faut un peu de temps pour comprendre d’où provient cette impression. L’artiste fait un usage sophistiqué de la mise en couleurs : à la fois une teinte dominante apportant une unité à chaque séquence, des jeux sur les nuances pour faire ressortir le relief et la texture de forme délimitée par un trait de contour, quelques effets spéciaux pour la décharge de 1.800 volts administrée à un voleur à la tire, pour le halo de chaque écran (et ils pullulent dans la ville et dans les appartements), pour les éclairages artificiels, etc. Parfois la couleur vient en appui des traits de contour ou de texture, s’adaptant à leur imprécision pour évoquer l’arrière-plan, sans réellement le représenter, en s’en tenant à l’impression générale qu’il peut produire sur un passant qui n’y prête pas attention. Pour autant, la densité d’informations visuelles s’avère très élevée à chaque page, montrant la ville et les locaux, en donnant pour son argent au lecteur venu pour le dépaysement concret du monde futur. Rapidement, il fait l’expérience du plaisir que prend le dessinateur à intégrer des éléments fouillés dans ses cases. L’exemple le plus flagrant réside dans les clins d’œil au travers des déguisements mis à disposition des visiteurs : Goldorak, Mickey, Pinhead, Bender Tordeur Rodriguez, Darth Vader, Wonder Woman, Homer Simpson, un schtroumpf, une tortue ninja, un Rubick’s cube, etc.


La narration visuelle transporte le lecteur dans cette cité futuriste avec ces visiteurs costumés, ces écrans partout, une véritable omniprésence, un personnage faisant même observer que seule l’intelligence artificielle A.L.I.C.E. peut les éteindre. Dans le même temps, elle emmène le lecteur grâce à son dynamisme : la première course-poursuite pour attraper le voleur à la tire, le combat entre deux élèves policiers, et le seconde course-poursuite entre l’assassin Antiochus Ebrahimi, et le policier Isham El Ghellab, des prises de vue rendant bien compte des déplacements, des coups portés, des acrobaties. Le lecteur se retrouve impliqué aux côtés du gentil Zachary Buzz, peut-être un peu naïf, dans la découverte progressive et partielle de cette cité. Le lecteur cherche à déterminer quel est le fil directeur principal de l’intrigue. Il se dit que cela doit être l’intégration de Buzz dans les Urban Interceptors, débouchant sûrement sur une enquête complexe.


Dans le même temps, le lecteur relève les différents thèmes abordés par le scénariste au travers du prisme déformant et souvent révélateur de la science-fiction. Cela commence avec les explications du coach sur le métier de policier à Monplaisir : Depuis que la police existe, les policiers se sont toujours plaints d’être constamment noyés sous un monceau d’obstacles idiots… Des centaines de délits sans intérêt qu’ils doivent traiter au jour le jour et qui les empêchent de se consacrer aux affaires réellement importantes. Mais à Monplaisir, rien de tel. En se chargeant de la broutille, A.L.I.C.E. leur permet de se concentrer enfin sur le vrai travail de policier : les meurtres, les viols, les enlèvements… Ici, être flic n’est pas un boulot ingrat, Zach. Le lecteur relève également l’omniprésence des écrans aux programmes imposés, une critique sur les programmes de masse issus de grands groupes homogénéisés, les visiteurs déguisés en costumes, c’est-à-dire une forme de société ayant dérivé vers le parc d’attraction, la société du spectacle ayant atteint son dernier stade de développement, le personnage de dessin animé comme modèle de Buzz déjà adulte, entre infantilisme et absence de modèle dans la vie réelle. La seconde course-poursuite entre un voleur et un policier est diffusée en direct sur tous les écrans, comme un spectacle, le voleur pouvant profiter en temps réel de l’évolution de la progression du policier, les visiteurs étant encouragés à parier sur l’issue de cet affrontement, etc.


Un premier tome très accrocheur qui trouve le bon dosage entre ce qui est montré et révélé, et ce qui reste caché, à découvrir par la suite. Une narration visuelle savamment dosé entre ce qui est montré dans le détail pour donner corps à ce monde futuriste, et ce qui est suggéré pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis avec des éléments qui pourraient exiger une trop grande suspension consentie d’incrédulité, ou se contredire. Une mise à profit de la science-fiction comme reflet déformé ou exagéré, prospectif de la société d’aujourd’hui, et une solide intrigue pleine de mystères. Une belle réussite.

Presence
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le 24 févr. 2024

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