Il s'agit d'une bande dessinée de 68 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2016, écrite par Bernard Séret, dessinée et mise en couleurs par Julien Solé. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.


Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle commence par un solide avant-propos de David Vandermeulen de 7 pages, plus un quart de page de notes. Il commence par citer les statistiques du nombre de morts dues aux requins (une dizaine par an) et de celles imputablers aux chiens (de l'ordre de 25.000 par an). Il retrace ensuite les principales attaques répertoriées qui ont donné lieu à un large battage médiatique : les attaques du New Jersey en 1916, les rescapés du USS Indianapolis en 1945, le film Le monde du silence (1954) du commandant Jacques-Yves Cousteau (1910-1997). Il indique que le coup de grâce a été porté par le roman de Peter Benchley paru en 1974, bestseller (7,6 millions d'exemplaires dans monde) porté à l'écran en 1975 par Steven Spielberg : Les dents de la mer. Il conclut sur le fait qu'il est indispensable de pouvoir apprendre à les connaître, en dépassant cette image de tueur d'hommes.


La bande dessinée commence au muséum national d'histoire naturelle, au Jardin des Plantes à Paris. Bernard Séret évoque l'inventaire des espèces de requins, son incomplétude, et sa progression de 16% dans les 15 dernières années. Il continue ensuite en répondant à la question de savoir ce qu'est un requin, sur la base d'une comparaison de ses points communs et de ses différences d'avec un poisson ordinaire. Il expose ensuite l'état des connaissances sur l'origine des requins. Il passe en revue la diversité des espèces de requins, ainsi que les endroits où ils vivent, leurs modalités de reproduction, leur âge et leur croissance, ce qu'ils mangent, leurs comportements, les relations hommes / requins, et pour finir la conservation et la protection des requins.


Dans son avant-propos, David Vandermeulen évoque la naissance et la propagation de la mauvaise réputation des requins. Une fois n'est pas coutume, il n'anticipe pas sur ce que va raconter l'auteur, mais il développe une autre facette de la fascination pour ces saigneurs des océans. Le lecteur peut ainsi (re)découvrir la manière dont les requins ont acquis cette image catastrophique, entérinée par le film de Steve Spielberg. La présentation est claire et didactique, et le lecteur en garde un sourire du fait de la comparaison avec la réputation du meilleur ami de l'homme, et le nombre de victimes des chiens. Le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre concernant la bande dessinée. Il peut commencer par se demander qui est Bernard Séret. La quatrième de couverture explique qu'il est un requinologue de réputation mondiale, biologiste marin au Muséum d'histoire naturelle ainsi qu'à l'institut de Recherche pour le Développement. Il dispose de sa propre page wikipedia, et il a participé à l'écriture de plusieurs livres de présentation et de vulgarisation sur les requins. Avec ces informations en tête, le lecteur se dit qu'il est légitime que l'auteur se mette en scène pour présenter son exposé. Il est vrai aussi qu'il n'y a pas énormément de possibilité pour mettre en images un exposé de vulgarisation.


Au bout de quelques pages, le lecteur a bien constaté que les phylactères d'exposition sont copieux, mais également que l'auteur a choisi de chapitrer son ouvrage en 10 parties, ce qui en rend la lecture plus digeste. Comme dans les autres volumes de la collection, le lecteur doit avoir à l'esprit qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage pour spécialiste, ce qui ne signifie pas non plus qu'il s'agit d'un ouvrage superficiel. Dans le premier chapitre, le biologiste marin présente les spécificités du requin par rapport à celle des poissons. Il évoque bien sûr ses dents et leur renouvellement, mais aussi la nature de sa peau qui n'est pas recouverte d'écailles. Dans le deuxième chapitre, il explique en quoi le fait que le requin soit ancien ne signifie pas qu'il s'agit d'un animal primitif. Dans le troisième chapitre, Bernard Séret présente un peu plus de 16 espèces différentes dont 4 découvertes ou plutôt décrites par ses soins. En se renseignant sur ses travaux, le lecteur découvre que ce biologiste marin est le descripteur de 63 nouvelles espèces. Selon toute vraisemblance, le lecteur novice découvre au moins 2 ou 3 espèces qu'il ne connaissait pas.


Ces premiers chapitres convainquent le lecteur, si besoin était, que l'auteur sait de quoi il parle. Il en a la confirmation éclatante, avec le chapitre sur la reproduction dans lequel l'auteur expose comment les requins se répartissent entre ovipares et vivipares, avec des particularités très étonnantes pour certaines espèces, comme certains embryons se nourrissant même d'autres embryons comme le requin-taureau (cannibalisme intra-utérin), ou des sacs vitellins se transformant en véritable placenta, permettant à la mère de nourrir ses petits. Le lecteur a du mal à se remettre de de la description de l'accouplement des requins, avec le mâle s'agrippant à la femelle en la mordant et en introduisant un de ses ptérygopodes dans son cloaque. Sans surprise, la narration repose fortement sur l'exposé magistral de Bernard Séret, et Julien Solé est cantonné au rôle d'illustrer ce discours de son mieux. Cet artiste était alors surtout connu pour ses ouvrages pour Fluide Glacial, humoristique : Cosmik Roger et La bureautique des sentiments. Pour cet ouvrage, il s'en tient à des dessins dans un registre descriptif, plutôt réalistes, même si l'avatar de Bernard Séret est un peu caricaturé pour lui donner plus de vie.


Illustrer un ouvrage vulgarisateur sans fiction constitue un réel défi, puisqu'à de rares exceptions près, le dessinateur hérite d'un texte déjà bouclé, sans beaucoup de réflexion pour sa dimension visuelle. Les séquences mettant en scène Bernard Séret se décomposent en 2 groupes, celles où il est en train de se déplacer ou de manipuler un objet, et celles où seule sa tête apparaît avec des phylactères. Dans le premier groupe, le lecteur peut apprécier les dessins à la fois précis et lâches, descriptifs, sans être photoréalistes pour ne pas alourdir la narration visuelle. Il comprend que l'auteur doit avoir donné de vagues indications sur ses gestes quand il manipule de gros tubes transparents contenant des spécimens, ou quand il se déplace devant le Muséum d'Histoire Naturelle. Dans le deuxième cas, il s'agit bien évidemment d'illustrer les propos avec soit des races de requins diverses, soit avec leur comportement. Le lecteur peut alors regretter que les dessins ne se rangent pas plus dans le domaine descriptif, avec des détails plus photoréalistes. Mais le recours aux dessins permet également des mises en scène qui auraient difficiles à réaliser avec des photographies, et certainement plus coûteuses. Ils permettent aussi plus facilement de mettre en avant un ou plusieurs détails souhaités par l'auteur.


À la lecture, le lecteur aurait effectivement pu attendre des dessins plus détaillés lors de la présentation des différentes espèces de requins, même si l'artiste réussit à bien montrer les différences morphologiques et les spécificités en particulier de peau. En contrepartie, l'efficacité des dessins apparaît pleinement dans le chapitre 4 consacré à la manière dont les requins se reproduisent, pour pouvoir montrer les morsures, les ptérygopodes, et plus loin les différentes manières dont les œufs sont protégés. En comparant ces pages à leur alternative (des photographiques, avec des schémas techniques explicatifs), le lecteur prend mieux conscience de la vie apportée par les dessins. Il en va de même dans le chapitre 8 consacré au comportement des requins. À nouveau les dessins permettent de décomposer ces mouvements, sans tomber dans les schémas techniques, plus arides.


Comme tous les autres tomes de la collection, cet ouvrage remplit son objectif de vulgarisation avec précision, et sans rester dans le domaine des lieux communs ou des généralités. Il ne fait aucun doute que Bernard Séret est une autorité dans ce domaine et que son exposé est fiable. Julien Solé utilise un mode graphique qui donne vie à l'exposé, et qui tire profit des spécificités de la bande dessinée, aussi bien pour décrire que pour rendre les visuels vivants. En fonction des passages, le lecteur éprouve plus ou moins fortement la sensation de suivre un exposé magistral, un cours assez formel. Bernard Séret a compensé cette impression en découpant son intervention en courts chapitres, ce qui donne plus de rythme à la lecture. Julien Solé a fait en sorte de varier la mise en scène de manière également à introduire de la variété visuelle. Malgré tout, du fait du format un peu tassé de l'ouvrage, le lecteur ne retrouve pas toujours le plaisir de lecture très particulier généré par une bande dessinée.

Presence
8
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le 28 mars 2019

Critique lue 86 fois

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