Comme prévu, ce cinquième épisode clôt la série Saint-Elme cosignée Serge Lehman et Frédérik Peeters. Une série qui sort franchement du lot et pas seulement par ses choix de couleurs.
On se doutait que cette histoire mettant en scène un groupe mafieux sous l’autorité de Gregor Mazur qui cherche à s’approprier l’héritage Saint-Elme (sa source d’eau minérale), ne pouvait pas se terminer sans un affrontement particulièrement sévère. C’est ce qui se passe dans le chalet de Paco où Katyé, la gamine black isolée a trouvé refuge puis protection auprès du couple Paco/Romane qui tombe sur elle. Gregor Mazur ne recule devant rien, c’est un rapace sans états d’âme. Bien entendu, les membres de son groupe se comportent comme des soldats prêts à mourir pour sa cause. La puissance de l’argent…
Gunfight d’anthologie
Sans surprise parce que le titre le laisse entendre (la bataille des Thermopyles, environ 480 av. JC, célèbre fait d’armes des guerres merdiques, pardon médiques, est entrée dans l’histoire pour le nombre d’hommes qui s’y affrontèrent et la conséquence de la trahison de l’un d’eux), cet ultime épisode est dominé par un assaut qui donne lieu à de violents échanges de coups de feu (la violence n’est donc pas que dans le choix des couleurs). L’ensemble représente pas moins de trente planches consécutives (sur un total de 86), avec une très légère pause avant de reprendre. Avec son aspect cinématographique réussi, cette séquence trouvera son public. Cependant, ce déploiement de violence bestiale me gêne un peu dans cette série qui va bien au-delà. En effet, ne nous y trompons pas, ce cinquième épisode aborde bien d’autres points intéressants. Le meilleur à mon goût est cette intervention du surnaturel, bien que le fameux dessin d’œil n’en fasse pas partie. Sa signification nettement plus personnelle, nous l’apprenons finalement de la petite Katyé qui affiche quand même un don pour « voir » certaines choses, mais bien faible par rapport à ce qui intervient ici.
Quel contre-pouvoir à celui de l’argent ?
Ce que les auteurs cherchent à faire passer, c’est que la fascination pour le pouvoir et l’argent peut trouver son contrepoids, du moins se plaisent-ils à l’imaginer. Il est même possible que la conclusion représente leur contribution à la lutte contre le pouvoir de l’argent. En tant que concepteurs de la série, ils en détiennent les clés et peuvent tout se permettre, y compris d’utiliser une sorte de deus ex machina de leur cru pour déjouer les forces de l’argent roi. Ils y opposent la force de la nature en lui accordant des pouvoirs en lien avec l’inéluctable, comme la progression de fluides tels que l’eau. Dans ce flux vital inflexible, on observe à un moment une coulée irrésistible de grenouilles dont l’irruption provoque un changement totalement imprévisible dans la suite des événements. Cette prolifération de grenouilles, mise en évidence dès le premier épisode, ne serait-elle pas un effet des aberrations de l’action humaine ? Les auteurs cherchent à faire sentir que si l’homme malmène la nature, celle-ci finit d’une manière ou d’une autre par s’opposer à ses actions. Ici, le cours naturel des choses se trouve renforcé par un surnaturel déterminant auquel les auteurs accordent une part qu’ils cherchent à crédibiliser. Le plus spectaculaire consiste en interventions de personnages issus de l’autre monde et qui se révèlent en mesure de communiquer avec un proche ou bien qui ont un pouvoir pour sentir quelque chose qui dépasse l’entendement ordinaire, comme l’approche d’un danger par exemple. D’autre part, le pouvoir naturel finit aussi par se rebeller franchement contre une décision humaine, un ordre qui « ne passe pas » et produira l’inverse de l’effet escompté, parce que (message), la nature n’est pas aux ordres de l’homme.
La montagne comme personnage à part entière
Tout cela est mis en scène de manière tout aussi convaincante que dans les quatre premiers albums de la série, avec un plus que constitue l’aspect surnaturel que les auteurs assument franchement, même si ce qu’ils en montrent apporte néanmoins de nouvelles questions sans réponse. Quelle est cette entité qui tire certaines ficelles ? Pour l’aspect, c’est à rapprocher des Toutes qu’on trouve dans la série BD La part merveilleuse de Rupert et Mulot. Le lien avec l’univers alpestre me rappelle également un film : La Montagne (Thomas Salvador – 2022). Un peu comme dans le film, ici la montagne semble comme habitée et il ne faut pas la déranger, car on ne sait pas ce qui peut en résulter. Cela a un petit côté naïf dit comme cela, mais cela fonctionne assez bien dans cette BD. Un album qui malheureusement clôt la série, une série qu’on quitte à regret en se disant qu’on s’attendait malgré tout à atteindre des hauteurs encore supérieures. Elle méritera largement la relecture attentive pour mieux sentir comment les détails du puzzle s’organisent. Pour le moment, je note qu’elle fait intervenir tellement de personnages, que les auteurs (l’éditeur ?) prennent la précaution de résumer en quelques lignes les événements décrits lors des précédents épisodes, sur une page avant le début.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné